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L'avers et le revers

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Chapitre VIII<br />

On sait que l’émotion <strong>et</strong> l’exaltation d’un péril<strong>le</strong>ux moment<br />

portent à des paro<strong>le</strong>s qui vont au-delà de l’usage <strong>et</strong> du sensé,<br />

outrepassent la pensée ordinaire <strong>et</strong> contreviennent<br />

passagèrement aux barrières de la condition <strong>et</strong> de l’état de<br />

naissance. C’est de c<strong>et</strong>te manière que j’avais entendu <strong>le</strong>s<br />

fraternités du baron quand il me serra dans ses bras <strong>et</strong> jura – ou<br />

peu s’en faut – de n’être pas ingrat envers moi qui venais de lui<br />

sauver la vie. Et je n’attendais que néant d’une action d’éclat où<br />

la fortune y fut pour beaucoup <strong>et</strong> qui, somme toute, pouvait se<br />

considérer comme la parfaite réussite de mon devoir ou de ma<br />

charge, <strong>et</strong> rien de plus. Dès que c<strong>et</strong>te émotion serait r<strong>et</strong>ombée,<br />

<strong>et</strong> <strong>le</strong> fait d’être vif, pour <strong>le</strong> baron, derechef une chose naturel<strong>le</strong> <strong>et</strong><br />

bana<strong>le</strong>, la gratitude qu’il me devait s’estomperait de même <strong>et</strong> se<br />

diluerait tantôt dans <strong>le</strong> monotone de l’existence. Ainsi pensaisje<br />

<strong>et</strong> grandement me trompais, tant <strong>le</strong> baron <strong>et</strong> son fils Pierre<br />

sont d’une étoffe différente de cel<strong>le</strong> d’aucuns maîtres <strong>et</strong> grands<br />

seigneurs que j’approchai plus tard en la cour du roi de France.<br />

Car dès <strong>le</strong> soir même, <strong>le</strong> baron me fit mander en la librairie<br />

de Mespech où, encore <strong>et</strong> encore, il me bailla fortes brassées<br />

dans une confraternité qui ne laissa pas de m’étonner. Puis,<br />

tirant à lui un sac qui se trouvait sur sa tab<strong>le</strong> d’écriture, il me<br />

compta une somme si exorbitante que je me sens presque<br />

vergogné de la révé<strong>le</strong>r ici, d’autant que fort peu nombreux sont<br />

ceux qui furent en la confidence – du reste <strong>le</strong> baron me<br />

recommanda la discrétion – <strong>et</strong> je suis bien convaincu que<br />

Sauv<strong>et</strong>erre n’en sut jamais rien <strong>et</strong> resta étranger à c<strong>et</strong>te<br />

étonnante libéralité qu’il eût certainement réprouvée.<br />

— Tiens, mon bon Miroul, dit-il avec gravité, compte-toi ici<br />

cinq écus, qui ne sont rien en comparaison de ta salutaire<br />

adresse <strong>et</strong> fortitude.<br />

Oncques de ma vie n’avais entrevu somme aussi<br />

considérab<strong>le</strong>, <strong>et</strong> si je la relativise à présent, car je ne suis plus <strong>le</strong><br />

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