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L'avers et le revers

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— Pour sûr, s’écria Jonas, c<strong>et</strong>te odeur me pue, à peu que je<br />

ne raque ! C’est là odeur de charogne, <strong>et</strong> pas p<strong>et</strong>ite !<br />

Je pardonne à Jonas c<strong>et</strong>te terrib<strong>le</strong> paro<strong>le</strong>, qui fut tel un coup<br />

de marteau sur la tête d’un noyé, car il en savait néant de mon<br />

amour pour Margot, <strong>et</strong> de ma peine, <strong>et</strong> ne pouvait deviner l’état<br />

de désespérance en <strong>le</strong>quel il m’avait tout soudain j<strong>et</strong>é en<br />

prononçant l’horrib<strong>le</strong> mot. Mon maître me lança un regard<br />

hésitant, inqui<strong>et</strong> sans doute que je ne tinsse <strong>le</strong> choc, mais je <strong>le</strong><br />

supportai, sans trop savoir comment, <strong>et</strong> quand il s’écarta du<br />

chemin, contournant <strong>le</strong>s broussail<strong>le</strong>s <strong>et</strong> <strong>le</strong>s arbres, je <strong>le</strong> suivis<br />

comme <strong>le</strong>s autres, jusqu’à l’endroit d’où l’odeur semblait<br />

s’exha<strong>le</strong>r de la terre el<strong>le</strong>-même.<br />

Onques n’ai entrevu de toute mon existence une charogne<br />

avec autant de soulagement ! Là, étendu sur <strong>le</strong> sol, en des<br />

émanations tant tenaces <strong>et</strong> prégnantes que mon maître <strong>et</strong><br />

Samson en portèrent à <strong>le</strong>ur nez un mouchoir, un reste de cabri,<br />

à moitié dévoré par <strong>le</strong>s loups, pourrissait en sa nuée de mouches<br />

bourdonnantes, <strong>le</strong>s lambeaux épars de chair grouillant d’une<br />

infecte population de vers, sous un pelage encore bien visib<strong>le</strong> <strong>et</strong><br />

parfaitement reconnaissab<strong>le</strong>. Peu de temps, comme bien on<br />

pense, nous restâmes à envisager ce peu ragoûtant spectac<strong>le</strong>, <strong>et</strong><br />

apaisés de ne pas avoir vu ce que nous redoutions de voir, nous<br />

reprîmes <strong>le</strong> sentier derechef, poursuivant notre inspection des<br />

broussail<strong>le</strong>s.<br />

Il n’y eut nul<strong>le</strong> embûche, <strong>et</strong> point de macabre découverte,<br />

jusqu’à la grande vallée des Beunes, où mon maître, <strong>le</strong> visage<br />

soucieux, l’air grave, fit stopper la p<strong>et</strong>ite troupe.<br />

— Que Diab<strong>le</strong> devons-nous faire, mes amis ? fit-il. Serait-il<br />

que Margot soit jusque-là parvenue, sans ambages, <strong>et</strong> qu’el<strong>le</strong><br />

soit allée à Taniès ?<br />

Il y eut des regards échangés, mais personne ne pipa mot ni<br />

mi<strong>et</strong>te, car nous étions à l’ancre, comme <strong>le</strong>s navires au port,<br />

accablés par c<strong>et</strong>te absence tota<strong>le</strong> d’indice d’aucune sorte, qui<br />

augurait bien mal de nos chances à r<strong>et</strong>rouver la Margot, vive ou<br />

même, hélas, morte.<br />

— J’en tiens qu’il nous faut al<strong>le</strong>r au village, <strong>et</strong> questionner<br />

tous <strong>et</strong> chacun, reprit mon maître. Il ne se peut qu’on ne l’ait<br />

aperçue au marché si el<strong>le</strong> s’y est fina<strong>le</strong>ment rendue.<br />

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