L'avers et le revers
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— Suffit, la Maligou ! cria une voix forte à la porte de la sal<strong>le</strong>.<br />
Suffit ces fab<strong>le</strong>s <strong>et</strong> balivernes ! Miroul est mon val<strong>et</strong> <strong>et</strong> je ne<br />
tolérerai pas une seconde de plus que tu lui manques de<br />
respect ! R<strong>et</strong>ourne à tes marmites <strong>et</strong> tais-toi, ou je m’en vais te<br />
fou<strong>et</strong>ter sur l’heure !<br />
Pierre de Siorac se tenait droit, <strong>le</strong>s jambes écartées, la crête<br />
redressée, <strong>le</strong>s yeux étincelants, <strong>et</strong> il paraissait à ce point furieux,<br />
que la Maligou eut peur qu’il n’exécutât sa menace <strong>et</strong> la battît<br />
comme pou<strong>le</strong> en poulail<strong>le</strong>r, si bien qu’el<strong>le</strong> se tut tout soudain <strong>et</strong><br />
qu’il y eut dans la sal<strong>le</strong> un profond si<strong>le</strong>nce.<br />
— Oublie c<strong>et</strong>te vieil<strong>le</strong> fol<strong>le</strong>, Miroul, me lança mon maître en<br />
s’asseyant à la tab<strong>le</strong>, rien ne pourra la changer, c’est une<br />
convertie de façade, toute à ses ido<strong>le</strong>s, la Vierge <strong>et</strong> <strong>le</strong>s Saints, <strong>et</strong><br />
remplie de tant de superstitions qu’un livre entier ne suffirait<br />
pas à <strong>le</strong>s énumérer toutes !<br />
La conversion ! Voilà bien un point qui joua en ma faveur<br />
auprès du baron <strong>et</strong> de Sauv<strong>et</strong>erre car contrairement à tout <strong>le</strong><br />
domestique du château, je n’étais pas un ancien catholique<br />
converti de force, ou tout comme, par la frérèche. Le <strong>le</strong>cteur se<br />
souvient que l’étau royal se desserrant sur <strong>le</strong>s protestants, <strong>le</strong>s<br />
deux Jean avaient demandé à tous <strong>le</strong>s occupants du château<br />
d’embrasser la religion réformée, <strong>et</strong> de choix il n’y en eut point,<br />
nul ne pouvant nier qu’un marché où on doit soit quitter sa<br />
religion, soit quitter <strong>le</strong>s lieux, est un pacte de dupes pour <strong>le</strong>s<br />
gens de modeste condition qui ne sont plus rien s’ils en<br />
viennent à perdre <strong>le</strong>ur situation. Tous, donc, avaient obtempéré<br />
aux désirs des maîtres, mais ils étaient nombreux à <strong>le</strong> regr<strong>et</strong>ter,<br />
surtout <strong>le</strong>s garces qui n’aiment rien tant dans <strong>le</strong> catholicisme<br />
que l’imagerie de la Vierge <strong>et</strong> du p<strong>et</strong>it Jésus, de l’âne <strong>et</strong> du bœuf,<br />
des rois mages, <strong>et</strong> des innombrab<strong>le</strong>s saints à qui on peut se<br />
confier <strong>et</strong> demander intercession auprès du Dieu inaccessib<strong>le</strong>.<br />
Et ce fut bien une rude désillusion pour la frérèche que de ne<br />
jamais avoir <strong>le</strong> domestique de <strong>le</strong>ur côté en matière de religion, si<br />
ce n’est par-devant avec <strong>le</strong>s courb<strong>et</strong>tes du faib<strong>le</strong> devant <strong>le</strong> fort,<br />
tandis que par-derrière <strong>le</strong>s langues se déliaient, <strong>le</strong>s cœurs se<br />
rebellaient, <strong>et</strong> que triomphait un catholicisme rampant,<br />
d’autant plus regr<strong>et</strong>té qu’il était interdit. Je ne présentais pas ce<br />
défaut, né dans la religion de Luther, sincèrement acquis à la<br />
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