L'avers et le revers
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— Je n’ai pas <strong>le</strong>s moyens, Maligou, d’envoyer une escorte à<br />
tout ce beau monde quand ils viennent nous visiter ! dit <strong>le</strong> baron<br />
d’une voix forte qui se voulait m<strong>et</strong>tre un terme à la discussion.<br />
Mais la logique du baron, que j’entendais bien, n’était pas<br />
cel<strong>le</strong> de la Maligou, à l’évidence.<br />
— Et pourtant vous <strong>le</strong>s laissez faire ! lança-t-el<strong>le</strong> victorieuse.<br />
— Je <strong>le</strong>s laisse faire quoi ?<br />
— Vous <strong>le</strong>s laissez venir nous visiter sans escorte !<br />
— Je ne peux faire autrement, te dis-je, sotte caill<strong>et</strong>te ! cria <strong>le</strong><br />
baron.<br />
— Moi, je m’apense que si on laisse Cabusse, Coulondre <strong>et</strong><br />
Jonas venir ici sans escorte, c’est que <strong>le</strong> danger il est pas si<br />
grand, que sinon on <strong>le</strong>ur interdirait, <strong>et</strong> que nous donc, on a <strong>le</strong><br />
droit aussi de <strong>le</strong>ur rendre visite sans escorte !<br />
La Maligou avait enfin dévidé toute sa pelote <strong>et</strong>, comme<br />
souvent <strong>le</strong>s êtres à grossière <strong>et</strong> obtuse cervel<strong>le</strong>, mais ayant toute<br />
audace, el<strong>le</strong> s’imaginait avoir un caractère fort, au reste <strong>le</strong><br />
répétait à l’envi, <strong>et</strong> se croyait assez supérieure aux autres, ce qui,<br />
en vérité, ne faisait pas preuve de grande clairvoyance. Ainsi, de<br />
contentement, el<strong>le</strong> croisa <strong>le</strong>s bras sur son gros corps flasque, <strong>et</strong><br />
re<strong>le</strong>va <strong>le</strong> menton, comme si el<strong>le</strong> défiait quiconque de revenir sur<br />
c<strong>et</strong>te bel<strong>le</strong> conclusion.<br />
Assurément, el<strong>le</strong> se faisait fort d’être <strong>le</strong> porte-paro<strong>le</strong> de tout<br />
<strong>le</strong> domestique en c<strong>et</strong>te affaire, <strong>et</strong> toute gonflée de vanité par ce<br />
nouveau rôl<strong>et</strong>, el<strong>le</strong> s’apprêtait à lutter farouchement pour la<br />
revendication de tous, goûtant déjà, non sans une certaine<br />
jouissance, <strong>le</strong>s dividendes de son intrépidité puisque <strong>le</strong>s autres<br />
l’avaient, par <strong>le</strong>ur si<strong>le</strong>nce, adoubée dans c<strong>et</strong>te position de chef <strong>et</strong><br />
de meneur. Pour ma part, il ne me sembla pas que ce champion<br />
par défaut fût <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur, loin s’en faut, mais il fut <strong>le</strong> seul à se<br />
présenter, <strong>et</strong> je cuide assez que la douce Barbarine, Faujan<strong>et</strong><br />
maugré son franc-par<strong>le</strong>r, ou mieux encore Franchou – <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur<br />
comprend pourquoi – auraient pu jouer celui-là avec plus<br />
d’avantage.<br />
J’eus peur que <strong>le</strong> baron, dont je vis <strong>le</strong>s joues s’empourprer <strong>et</strong><br />
<strong>le</strong>s yeux lancer des éclairs, ne s’emportât en une colère<br />
irrépressib<strong>le</strong> <strong>et</strong> vio<strong>le</strong>nte, laquel<strong>le</strong> aurait glacé l’assistance <strong>et</strong><br />
durab<strong>le</strong>ment assombrit la relation entre maîtres <strong>et</strong> domestique,<br />
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