L'avers et le revers
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pauvre paysan qui de la pécune n’en voit pas même la queue, <strong>et</strong><br />
parce que j’ai appris depuis à mesurer <strong>le</strong>s richesses, je restai en<br />
la circonstance, <strong>et</strong> devant une tel<strong>le</strong> largesse, mu<strong>et</strong> <strong>et</strong> stupide<br />
comme demeuré de village.<br />
— Prends donc, Miroul ! s’écria <strong>le</strong> baron qui, me voyant tout<br />
soudain changé en statue de sel, rit à bec fendre <strong>et</strong> de ma<br />
stupéfaction <strong>et</strong> – je <strong>le</strong> crains – de ma nigauderie.<br />
Comme bien on pense, je ne comptai rien, me contentant de<br />
ramasser <strong>le</strong>s pièces <strong>et</strong> de <strong>le</strong>s glisser dans mon haut-de-chausses,<br />
presque honteux de tant de pécunes gagnées en si peu de temps.<br />
La discrétion que <strong>le</strong> baron me recommanda en c<strong>et</strong>te affaire<br />
ne venait pas de la crainte d’une quelconque réaction de<br />
Sauv<strong>et</strong>erre, qu’il eût pu, à n’en pas douter, circonvenir sans trop<br />
de difficulté. Non, dans l’esprit du baron, <strong>et</strong> il me <strong>le</strong> fit<br />
comprendre à demi-mot, il s’agissait avant tout d’éviter que <strong>le</strong><br />
reste du domestique ne fût au courant, excitant par là envies <strong>et</strong><br />
jalouseries qui eussent pu me porter tort. Il montrait là encore<br />
subti<strong>le</strong> connaissance de l’humaine condition qui rarement se<br />
contente de ce qu’el<strong>le</strong> a, lorgne sans cesse dans l’assi<strong>et</strong>te du<br />
voisin, méconnaît <strong>le</strong>s qualités d’autrui <strong>et</strong> magnifie <strong>le</strong>s siennes, <strong>et</strong><br />
juge la reconnaissance du mérite d’un autre comme une<br />
injustice faite à soi.<br />
Je fus fort embarrassé d’une tel<strong>le</strong> somme, ne sachant où la<br />
serrer pour qu’el<strong>le</strong> sommeil<strong>le</strong> en sécurité. Le fait est que, d’une<br />
tel<strong>le</strong> quantité de pécunes, point n’avais besoin, si bien que je la<br />
glissai sous mon matelas comme un vo<strong>le</strong>ur, vite <strong>et</strong> à la dérobée<br />
pour que nul ne m’aperçoive, y revenant sans cesse afin que de<br />
vérifier qu’el<strong>le</strong> s’y trouvait toujours. De ce jour <strong>et</strong> de c<strong>et</strong>te courte<br />
expérience en la matière, j’en conclus que l’argent est un souci<br />
<strong>et</strong> que, pour peu que vous ayez la bonne fortune de manger à<br />
votre faim <strong>et</strong> d’avoir <strong>le</strong> gîte où reposer votre terrestre enveloppe<br />
pendant la nuit, il n’est nul<strong>le</strong>ment besoin d’en posséder.<br />
De c<strong>et</strong> avis assez sommaire, qui n’était dû qu’à ma jeunesse,<br />
j’ai changé depuis, car je ne pourrais nier maintenant, en mes<br />
années grises, que la pécune assure une sécurité, que la<br />
vieil<strong>le</strong>sse estime, <strong>et</strong> grandement perm<strong>et</strong> d’améliorer l’ordinaire.<br />
Ce n’est pas avoir goût de l’inuti<strong>le</strong> <strong>et</strong> du faste que de souhaiter<br />
meil<strong>le</strong>ur rôt que la soupe aux choux, meil<strong>le</strong>ur confort en<br />
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