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L'avers et le revers

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cela, tant murée en la musique qu’el<strong>le</strong> en était devenue son<br />

unique univers.<br />

M’amye m’a salut mandé<br />

Par ung messager seul<strong>le</strong>ment,<br />

Ainsi qu’il m’a contremandé<br />

Au jolly bois où il m’attend.<br />

Je my en voys presentement<br />

Et luy diray : « Ma damoisel<strong>le</strong>,<br />

Par mon serment, vous estes cel<strong>le</strong><br />

Qui resjouit <strong>le</strong> cueur de moy. »<br />

Quand j’en eus fini de c<strong>et</strong>te chanson d’amour <strong>et</strong> reposé la<br />

vio<strong>le</strong> sur mes genoux, je vis que des larmes coulaient sur <strong>le</strong>s<br />

joues de notre p<strong>et</strong>ite Hélix, sans que son visage ne bougeât d’un<br />

trait, <strong>et</strong> que tout son corps reposait immobi<strong>le</strong>, tel<strong>le</strong> une morte.<br />

Seu<strong>le</strong> une faib<strong>le</strong> respiration sou<strong>le</strong>vait un peu sa maigre poitrine,<br />

<strong>et</strong> j’acquis certitude que la musique l’avait endormie, <strong>et</strong> par là<br />

soulagée de ses dou<strong>le</strong>urs. Mais point ne bougions, Samson <strong>et</strong><br />

moi, comme terrorisés par <strong>le</strong> sommeil de c<strong>et</strong>te pauvre garce,<br />

scène qui figurait la fin, ou pire, une morbide répétition,<br />

laquel<strong>le</strong> nous faisait d’autant peur que nous sachions devoir la<br />

vivre bientôt. Nous échangeâmes un regard, où la détresse<br />

clairement se lisait, <strong>et</strong> ensemb<strong>le</strong> nous <strong>le</strong>vant de nos escabel<strong>le</strong>s,<br />

attentionnés à ne point faire plus de bruit qu’une souris trottant<br />

sur <strong>le</strong>s dal<strong>le</strong>s, nous laissâmes à ses rêves la pauvre p<strong>et</strong>ite Hélix.<br />

J’eus, pendant c<strong>et</strong>te époque, <strong>le</strong>s deux pans de la vie chaque<br />

jour en pâture, croquant la chair <strong>et</strong> l’amour en <strong>le</strong>s bras de la<br />

bel<strong>le</strong> Margot, goûtant l’amer <strong>et</strong> la désolation près du lit de la<br />

p<strong>et</strong>ite Hélix. Et tel j’étais, vramy, passant de l’un à l’autre, de la<br />

joie à la tristesse, de la force à la faib<strong>le</strong>sse, de la naissance au<br />

trépas, <strong>et</strong> comme j’en parlais à Margot, el<strong>le</strong> me dit :<br />

— C’est dans tes yeux déjà que tu es ainsi, Miroul. L’un b<strong>le</strong>u,<br />

l’autre marron, <strong>et</strong> toujours dans <strong>le</strong>s deux plateaux de la balance<br />

en même temps.<br />

— Que veux-tu dire, Margot ?<br />

— Que de ta vie tu resteras triste <strong>et</strong> gai à la fois, ne sachant<br />

toi-même ce qui domine en toi.<br />

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