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L'avers et le revers

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Qu’un Rabelais que j’ai lu en riant à gorge déployée, ou une<br />

Marguerite de Navarre dont <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s m’ont charmé à<br />

l’extrême, soient nécessaires pour distraire ou adoucir notre<br />

existence, c’est sans doutance aucune que je <strong>le</strong> crois, ayant<br />

observé sur mon âme l’eff<strong>et</strong> de <strong>le</strong>ur médecine. Je cuide assez<br />

que nos rois <strong>et</strong> princesses devraient favoriser <strong>le</strong>ur éclosion avec<br />

une plus grande ardeur, <strong>et</strong> nous aurions fort besoin d’une<br />

nouvel<strong>le</strong> Aliénor d’Aquitaine pour développer <strong>le</strong>s arts <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />

l<strong>et</strong>tres en ce royaume. Et tout aussi capital serait que <strong>le</strong> peup<strong>le</strong><br />

<strong>et</strong> nos paysans apprennent à déchiffrer afin que de pouvoir lire<br />

<strong>le</strong>s romans qui travail<strong>le</strong>nt l’imaginative <strong>et</strong> font tant de bien<br />

qu’ils sont comme un onguent sur une plaie.<br />

Ira-t-on aussi loin un jour dans <strong>le</strong> remuement <strong>et</strong> la<br />

nouvell<strong>et</strong>é de notre organisation socia<strong>le</strong> que même <strong>le</strong>s paysans<br />

pourront faire profit de nos plus grands poètes, tels Ronsard,<br />

Villon ou Du Bellay ? Je ne <strong>le</strong> crois pas, <strong>et</strong> c’est là utopie <strong>et</strong><br />

mirage qui illusionnent mon esprit, mais à tout prendre, peutêtre<br />

est-il salutaire de s’aveug<strong>le</strong>r ainsi plutôt que, de lucidité, se<br />

rabougrir <strong>et</strong> se dessécher comme un vieux pain rassis.<br />

D’un jour entier <strong>le</strong>s heures qui me restent, hors mes <strong>le</strong>ctures<br />

<strong>et</strong> la rédaction de mes Mémoires, se passent au potager, en<br />

compagnie de ma vieil<strong>le</strong> épousée, à cultiver nos légumes en<br />

courbant nos dos usés. C’est saine occupation que cel<strong>le</strong>-là <strong>et</strong> qui<br />

me revient de loin, de mes plus vertes années, avant <strong>le</strong> grand<br />

malheur qui me j<strong>et</strong>a loin de la ferme de mes parents. On en<br />

revient toujours à son enfance, m’a dit un jour mon maître, <strong>et</strong> si<br />

je ne suis pas bien certain d’avoir compris ce trait ni ce qu’il<br />

signifie, je <strong>le</strong> vérifie pour <strong>le</strong> travail de la terre qui m’est revenu<br />

en ma vieil<strong>le</strong>sse.<br />

Et ceci est d’autant plus étrange que nous avons de la pécune<br />

assez, mon épouse <strong>et</strong> moi, pour nous payer ce que nous<br />

appétons au marché de Montfort l’Amaury, <strong>et</strong> n’avons point<br />

besoin absolument de ce potager pour survivre. Il tomberait en<br />

friche que la famine ne s’inviterait pas à notre tab<strong>le</strong> ! Mais nous<br />

menons, ma femme <strong>et</strong> moi, un train de vie modeste, selon l’us<br />

paysan, <strong>et</strong> je ne me suis jamais laissé éblouir par l’éclat de la<br />

richesse, que j’ai pourtant approchée d’assez près.<br />

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