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L'avers et le revers

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Parce que je ne savais qu’en faire en vérité, j’avais apporté <strong>le</strong>s<br />

cinq écus du baron afin que de <strong>le</strong>s lui donner, sachant qu’ils ne<br />

me seraient d’aucune utilité, mon maître pourvoyant à tout, <strong>et</strong><br />

m’apensant qu’el<strong>le</strong> en aurait meil<strong>le</strong>ure usance.<br />

— Mais, Miroul, me répondit-el<strong>le</strong>, que m’importe c<strong>et</strong>te<br />

clicail<strong>le</strong>, lors que tu me quittes <strong>et</strong> que oncques ne te reverrai<br />

peut-être !<br />

À la parfin, j’insistai tant qu’el<strong>le</strong> accepta, mais à rebelute,<br />

affirmant qu’el<strong>le</strong> bail<strong>le</strong>rait ces écus à ses parents qui en avaient<br />

bien nécessité, <strong>et</strong> je suis bien assuré qu’el<strong>le</strong> en fit ainsi.<br />

De promesses nous n’en fîmes aucune, la destinée se<br />

pouvant jouer tant de tours à des drô<strong>le</strong>s de notre espèce, qui ne<br />

sont maîtres de rien, ni de <strong>le</strong>urs décisions, ni de <strong>le</strong>urs<br />

entreprises, el<strong>le</strong> fil<strong>le</strong> de laboureur attaché à la terre, moi<br />

dorénavant val<strong>et</strong> au service des Siorac. El<strong>le</strong> restait là, je partais,<br />

c’était tout, <strong>et</strong> bien suffisant, hélas, à notre chagrin.<br />

Margot était forte, je l’ai dit assez, <strong>et</strong> el<strong>le</strong> ne p<strong>le</strong>ura pas, du<br />

moins devant moi, car je cuide qu’el<strong>le</strong> <strong>le</strong> fit dès que j’eus <strong>le</strong> dos<br />

tourné. Et comment ne l’aurait-el<strong>le</strong> pas fait puisque de mon<br />

côté, comme mes pas me ramenaient au château, j’essuyais<br />

d’une pauvre main tremblante <strong>le</strong>s larmes qui roulaient sur ma<br />

joue.<br />

Rarement mon maître, car ce n’est pas l’usage, s’en vient me<br />

visiter au logis. Ce matin, pourtant, lors que je traçais avec<br />

application <strong>le</strong>s lignes ci-dessus, ému assez au pensement de<br />

Margot <strong>et</strong> de notre lointaine séparation, il toqua à mon huis <strong>et</strong>,<br />

déclosant la porte, ma bonne compagne de surprise <strong>le</strong> vit,<br />

guil<strong>le</strong>r<strong>et</strong> <strong>et</strong> gaillard, comme à l’accoutumée. Il la salua, je <strong>le</strong><br />

saluai, <strong>et</strong> m’envisageant ainsi, penché sur l’écritoire <strong>et</strong> la plume<br />

à la main, il se frotta <strong>le</strong>s mains <strong>et</strong> arpenta la pièce, virevoltant<br />

autour de ma personne comme l’hameçon près du poisson.<br />

— Ah, mon bon Miroul ! me dit-il à la parfin, je te surprends<br />

céans en p<strong>le</strong>in labeur <strong>et</strong> travaux d’écriture ! De paysan à larron,<br />

puis de larron à val<strong>et</strong>, te voilà à présent historiographe de ta<br />

vie ! N’est-ce pas que l’existence réserve bien des détours, qu’il<br />

en faudrait être devin pour <strong>le</strong>s imaginer ?<br />

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