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L'avers et le revers

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Mon maître posa sur moi son regard azuréen <strong>et</strong>, se gaussant<br />

de mon désarroi qu’il remarqua, serra <strong>le</strong> manuscrit tout contre<br />

sa poitrine.<br />

— Apprends, mon bon Miroul, que ce qu’on écrit ne nous<br />

appartient plus ! Il en va ainsi de mes Mémoires que tu as lues<br />

sans même en mander l’autorisation, de par <strong>le</strong> fait qu’on <strong>le</strong>s<br />

trouve en <strong>le</strong>s rayonnages de ma librairie, dans <strong>le</strong>ur bel<strong>le</strong> reliure<br />

de cuir, <strong>et</strong> ornées de la juste autorisation de notre bon roi<br />

Henri IV.<br />

— C’est que je n’ai point encore c<strong>et</strong>te autorisation, hasardaije.<br />

— Tudieu, Miroul ! Et cuides-tu que c’est toi qui vas la lui<br />

demander, <strong>et</strong> non ton maître, qui <strong>le</strong> connaît assez pour s’en<br />

croire son ami ?<br />

— Vous feriez cela pour moi ?<br />

— Ainsi <strong>le</strong> ferai-je, pour peu que <strong>le</strong>s dites Mémoires du sieur<br />

Miroul m’agréent <strong>et</strong> que je n’y trouve point matière à y redire.<br />

Comme je ne répondais rien, <strong>et</strong> montrais à ces paro<strong>le</strong>s une<br />

mine fort longue <strong>et</strong> fort soucieuse, mon maître s’esbouffa <strong>et</strong> se<br />

dirigea vers la porte, tout en s’inclinant derechef devant ma<br />

vieil<strong>le</strong> épouse.<br />

— Mais que crains-tu, Miroul ? j<strong>et</strong>a-t-il par-dessus son<br />

épau<strong>le</strong> en franchissant <strong>le</strong> seuil du logis. Si la vérité n’est en rien<br />

déguisée, ni travestie, si tu n’as point fait offense à ceux qui ne<br />

<strong>le</strong> méritent pas, si ton discours est droit <strong>et</strong> honnête, pourquoi<br />

verrais-tu ton maître s’y opposer ?<br />

Il sortit, <strong>et</strong> mon premier regard fut à ma tabl<strong>et</strong>te, laquel<strong>le</strong><br />

était tant vide que je me sentis dépossédé de moi-même, comme<br />

à la perte d’un être cher. Ce désarroi, car c’en est un, est dur à<br />

expliquer, <strong>et</strong> je gage, plus encore à entendre, <strong>et</strong> je ne saurai<br />

trouver <strong>le</strong>s mots pour <strong>le</strong> faire, d’aucuns doctes professeurs ayant<br />

là-dessus déjà déversé <strong>le</strong>ur râtelée en de savants volumes. Ce<br />

que j’en dirai, à mon niveau <strong>et</strong> de mon humb<strong>le</strong> expérience, est<br />

qu’on en perd l’appétence de l’existence, tourne en rond ne<br />

sachant plus que faire, passe devant nos proches sans <strong>le</strong>s voir ni<br />

même <strong>le</strong>s reconnaître, <strong>et</strong> que l’on est comme plongé dans<br />

l’angoisse, tel un chaton dans un torrent.<br />

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