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L'avers et le revers

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À la parfin, <strong>le</strong> baron tendit la l<strong>et</strong>tre à Sauv<strong>et</strong>erre <strong>et</strong> dit d’une<br />

voix atone :<br />

— Un grand malheur qui s’est produit… Étienne de La Boétie<br />

est mort, <strong>le</strong> 19 août.<br />

— Mort ? répondit Sauv<strong>et</strong>erre atterré, mais il avait à peine<br />

dépassé la trentaine <strong>et</strong> portait, je crois, une saine <strong>et</strong> éclatante<br />

santé ?<br />

— Il allait avoir trente-trois ans.<br />

— L’âge du Christ… dit Sauv<strong>et</strong>erre, sans qu’on sût ce que<br />

signifiait pour lui ce rapprochement inattendu.<br />

— Voyez vous-même, dit Jean de Siorac en désignant d’un<br />

geste <strong>le</strong>s feuill<strong>et</strong>s qui pendaient dans la main de Sauv<strong>et</strong>erre,<br />

M. de La Porte nous fait un récit circonstancié de l’événement,<br />

qu’il tient de M. de Montaigne, <strong>le</strong>quel aurait assisté La Boétie en<br />

ses derniers instants. Il a montré bien du courage, attendant la<br />

mort gaillard <strong>et</strong> de pied coi, selon sa propre expression, <strong>et</strong> sans<br />

oncques se désespérer du temps qu’el<strong>le</strong> prenait, lors qu’il<br />

pâtissait prou de vio<strong>le</strong>ntes <strong>et</strong> insupportab<strong>le</strong>s dou<strong>le</strong>urs.<br />

— De quel mal souffrait-il ?<br />

— On ne sait. Le 8 août, il joua à la paume avec M. d’Escars,<br />

en pourpoint sous une robe de soie, <strong>et</strong> <strong>le</strong> froid <strong>le</strong> prit. Le<br />

<strong>le</strong>ndemain, il avait un flux de ventre avec des tranchées, puis de<br />

la dysenterie aussi, <strong>et</strong> ce mal ne l’a point quitté jusqu’à la fin.<br />

De mon côtel, à ouïr ceci, je ne laissais d’être étonné car, ne<br />

connaissant pas ce M. de La Boétie dont on venait d’annoncer <strong>le</strong><br />

trépas, il m’était diffici<strong>le</strong> d’entendre la grande affliction en<br />

laquel<strong>le</strong> semblait plongé <strong>le</strong> baron, au point que ses yeux se<br />

brouillèrent <strong>et</strong> que sa voix perdit son timbre coutumier, clair <strong>et</strong><br />

sonnant.<br />

— Nous perdons prou avec c<strong>et</strong> homme, ajouta <strong>le</strong> baron<br />

sombrement. Bien que catholique, c’était un juste, ouvert à la<br />

liberté des cultes, à la tolérance <strong>et</strong> au dialogue entre <strong>le</strong>s<br />

religions, au refus de la tyrannie d’où qu’el<strong>le</strong> vienne. Si des deux<br />

bords, nous avions à la tête de l’État, ne serait-ce que trois ou<br />

quatre La Boétie, nous n’en serions pas là où nous en sommes,<br />

hélas !<br />

— Je m’en vais prier pour <strong>le</strong> salut de son âme, dit Sauv<strong>et</strong>erre<br />

en écho.<br />

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