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L'avers et le revers

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endaient visite, je me sentais atteint d’un mal étrange qui<br />

m’était jusqu’alors tout à p<strong>le</strong>in déconnu. Et j’envisageai<br />

froidement, c’est dire au <strong>le</strong>cteur en quel tourment c<strong>et</strong>te histoire<br />

m’avait plongé, que <strong>le</strong> Seigneur dans sa grande bénignité puisse<br />

me rappe<strong>le</strong>r à lui, sans que c<strong>et</strong>te triste perspective ne m’émeuve<br />

outre mesure.<br />

Quant à mon maître, lui d’ordinaire si fringant <strong>et</strong> si loquace,<br />

il sortait peu ou mie, faisant éga<strong>le</strong>ment du renfrogné, l’air fort<br />

ma<strong>le</strong>ngroin <strong>et</strong> répondant à rebelute dès qu’on lui adressait la<br />

paro<strong>le</strong>.<br />

Nous allions ainsi comme deux inconnus dans la même<br />

demeure quand je <strong>le</strong> vis un jour sortir sur <strong>le</strong> perron, <strong>et</strong> m’ayant<br />

envisagé un court instant, se diriger vers moi d’un pas vif <strong>et</strong><br />

gaillard.<br />

— Miroul, me dit-il, tu n’as pas l’air bien allant.<br />

— C’est la saison, Moussu Pierre. Quand <strong>le</strong>s feuil<strong>le</strong>s tombent<br />

des arbres, je me sens loche <strong>et</strong> marmiteux.<br />

Il marqua un temps, soupira comme s’il se trouvait face à un<br />

enfant capricieux, <strong>et</strong> s’écria sur <strong>le</strong> ton <strong>le</strong> plus a<strong>le</strong>rte <strong>et</strong> <strong>le</strong> plus<br />

joyeux :<br />

— Eh bien, coquefredouil<strong>le</strong>, que n’uses-tu de c<strong>et</strong>te médecine<br />

de l’âme dont tu m’as parlé l’autre jour !<br />

Je reçus c<strong>et</strong>te franche <strong>et</strong> bonne paro<strong>le</strong> au cœur <strong>et</strong> mes yeux,<br />

aussitôt, s’embuèrent de larmes.<br />

— Si c’est là votre potion, répondis-je, je la boirai jusqu’à la<br />

lie !<br />

Et je lui aurais volontiers sauté au cou, lui baillant une forte<br />

brassée, s’il n’avait tout aussitôt tourné <strong>le</strong>s talons <strong>et</strong> ne s’en était<br />

reparti du même pas vigoureux, non sans avoir lancé par-dessus<br />

son épau<strong>le</strong> :<br />

— Montaigne se trompe, mon vieux Miroul ! Dans la vérité, il<br />

y a l’avers <strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>revers</strong> !<br />

Et ce qui l’avait fait changer dans son opinion à mon égard,<br />

je ne puis <strong>le</strong> dire avec certitude, sinon que mon maître n’est pas<br />

de ces pisse-froid qui pensent tout savoir sur tout, ne varient sur<br />

rien, <strong>et</strong> n’écoutent que <strong>le</strong>ur propre raisonnement.<br />

De mon côtel, je me sentis de suite tout à p<strong>le</strong>in rebiscoulé, si<br />

bien que je laissai en plan <strong>le</strong> labeur du moment, courus jusque<br />

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