L'avers et le revers
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Et c<strong>et</strong>te mémorab<strong>le</strong> journée, Margot <strong>et</strong> moi, nous<br />
l’achevâmes de fort bel<strong>le</strong> manière, en la grange de l’î<strong>le</strong>, sur <strong>le</strong><br />
chaume, frottant <strong>le</strong> lard ensemb<strong>le</strong> comme dit <strong>le</strong> populaire avec<br />
un sens de la poésie que je laisse au <strong>le</strong>cteur apprécier, lui qui,<br />
sans l’ombre d’un doute, est plus ouvert <strong>et</strong> instruit aux arts <strong>et</strong><br />
bel<strong>le</strong>s l<strong>et</strong>tres que je ne <strong>le</strong> serai oncques, <strong>et</strong> m’en excusant<br />
humb<strong>le</strong>ment.<br />
Ainsi l’existence prend ses douces habitudes, <strong>et</strong> d’un<br />
fréquent déduit avec Margot j’en goûtais <strong>le</strong> plaisir, tel <strong>le</strong> point<br />
d’orgue de c<strong>et</strong>te fortune qui me souriait tant depuis l’entrée en<br />
la maison des Siorac. Hélas, des chagrins éga<strong>le</strong>ment rongeaient<br />
<strong>et</strong> dévastaient notre âme, <strong>et</strong> la <strong>le</strong>nte bascu<strong>le</strong> de la p<strong>et</strong>ite Hélix<br />
vers <strong>le</strong> trépas en était <strong>le</strong> plus intense, <strong>le</strong> plus cruel, <strong>le</strong> plus<br />
injuste, qui ne se peut exprimer, <strong>et</strong> que je souhaite éviter au<br />
<strong>le</strong>cteur afin qu’une trop grande compassion ne vienne ternir<br />
l’esprit de ces Mémoires. Margot bien me l’avait dit, <strong>et</strong> la <strong>le</strong>çon<br />
fut apprise, ce n’est pas par mon œil triste, mais par l’autre, que<br />
je veux considérer la vie <strong>et</strong> ses traverses. Si bien que de c<strong>et</strong>te<br />
<strong>le</strong>nte agonie je ne veux mie causer, sinon pour instruire qu’el<strong>le</strong><br />
se poursuivit, <strong>et</strong> que j’y pris ma part de misère, à chanter de<br />
plaisantes <strong>et</strong> légères chansons lors que je me r<strong>et</strong>enais de<br />
p<strong>le</strong>urer. De c<strong>et</strong>te pitié, il faut certes se souvenir, <strong>et</strong> la p<strong>et</strong>ite<br />
Hélix demeure encore en mon cœur, même ce jour d’hui, mais il<br />
n’y a nul besoin de l’écrire <strong>et</strong> de s’y étendre, sinon à raviver <strong>le</strong><br />
tristeux pâtiment que nous endurâmes à l’époque.<br />
C’est en sortant de la chambr<strong>et</strong>te de la p<strong>et</strong>ite Hélix –<br />
chambr<strong>et</strong>te qu’el<strong>le</strong> occupait depuis peu pour y reposer plus<br />
quiète – que, <strong>le</strong> cœur gros <strong>et</strong> la pensée en désespérance d’avoir<br />
tant gaîment chanté <strong>et</strong> joué de la vio<strong>le</strong>, je me rendis un matin à<br />
la grange où Margot <strong>et</strong> moi devions nous encontrer. À percevoir<br />
<strong>et</strong> ouïr mon pas rude marte<strong>le</strong>r <strong>le</strong> sol de la cour, je me sentis<br />
derechef appartenir au monde des vifs <strong>et</strong> mon esprit se desserra<br />
de sa peine, s’éloigna des brumes de cim<strong>et</strong>ière qui <strong>le</strong> hantait, <strong>et</strong><br />
recouvrit son appétence au plaisir de la chair que me prom<strong>et</strong>tait<br />
ce rendez-vous.<br />
L’appréhension des premières r<strong>et</strong>rouvail<strong>le</strong>s dans la grange –<br />
que je vous ai narrée, <strong>le</strong>cteur – avait laissé place à une<br />
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