L'avers et le revers
L'avers et le revers
L'avers et le revers
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
avouer qu’el<strong>le</strong>s sont efficaces en diab<strong>le</strong> pourvu que <strong>le</strong>s hommes<br />
ne pensent plus à eux mais seu<strong>le</strong>ment au but final. Et à la vérité,<br />
en avaient-ils <strong>le</strong> choix <strong>le</strong>s pauvres hères qui tels des forçats<br />
besognaient céans, ayant femmes <strong>et</strong> marmots à nourrir, n’étant<br />
eux-mêmes que des enfants de la misère.<br />
Quand l’œuvre fut achevée <strong>et</strong> – devrait-on dire – <strong>le</strong> dernier<br />
estropié r<strong>et</strong>ourné en sa chaumière, il y eut comme une sorte de<br />
cérémonie organisée par <strong>le</strong> baron, où tout Mespech se déplaça<br />
pour admirer <strong>le</strong> beau mur à deux parements <strong>et</strong> haut de deux<br />
toises. Faujan<strong>et</strong>, côté défense, y avait monté un chemin de<br />
ronde en bois qui courait tout du long, si bien que Jean de<br />
Siorac en tête, suivi de Sauv<strong>et</strong>erre claudiquant, des fils <strong>et</strong> fil<strong>le</strong> du<br />
baron, de Jonas <strong>et</strong> de tout <strong>le</strong> domestique, garces <strong>et</strong> marmots<br />
compris, fit <strong>le</strong> tour de ces nouveaux remparts, <strong>et</strong> chacun de<br />
s’extasier de la bel<strong>le</strong> ouvrage que c’était là, d’y al<strong>le</strong>r de son<br />
commentaire, de toucher <strong>et</strong> de caresser <strong>le</strong>s pierres, trouvant<br />
même à c<strong>et</strong>te murail<strong>le</strong> des airs de ressemblance avec d’autres<br />
fortifications du pays, tout comme s’il s’agissait d’un nouveau<br />
né, sorti tout droit des cuisses de sa mère, <strong>et</strong> que l’on aimait à<br />
comparer à ceux de sa famil<strong>le</strong>.<br />
Si Jonas ne disait rien, on sentait sa modeste fierté, tel <strong>le</strong><br />
père du nourrisson, <strong>et</strong> <strong>le</strong> baron, debout sur ce chemin de ronde<br />
qui dominait <strong>le</strong> pré environnant, face à nos bel<strong>le</strong>s collines<br />
verdoyantes du Périgord, devant tous <strong>et</strong> toutes assemblés en<br />
c<strong>et</strong>te occasion, <strong>le</strong> serra dans ses bras d’une bien so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong><br />
manière pour <strong>le</strong> mercier <strong>et</strong> <strong>le</strong> féliciter du labeur accompli.<br />
Preuve que <strong>le</strong> baron savait rendre à César ce qui appartenait à<br />
César, <strong>et</strong> ceci avec générosité, c’est-à-dire devant tous. Pourtant,<br />
nul doute non plus qu’il s’accordait à lui, <strong>et</strong> à lui seul, la<br />
paternité de l’ouvrage, première défense visib<strong>le</strong> de Mespech <strong>et</strong><br />
conçue pour décourager illico assaillants ou maraudeurs qui en<br />
viendraient à s’approcher.<br />
— Ce mur, Jonas, est beaucoup plus qu’un mur, dit <strong>le</strong> baron<br />
d’une voix forte que gonflait l’enthousiasme, c’est notre murail<strong>le</strong><br />
de Chine !<br />
Et ces fortes paro<strong>le</strong>s furent reçues en un grand si<strong>le</strong>nce car <strong>le</strong><br />
domestique, <strong>et</strong> votre Miroul en premier, ignorait ce qu’était<br />
c<strong>et</strong>te murail<strong>le</strong>, ni savait ce que <strong>le</strong> mot Chine signifiait, à tel point<br />
186