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Dans <strong>la</strong> croyance que nous venons de décrire, un aspect surtout retient notre attention.<br />

Nous avons cité l’opinion d’Anne Retel-Laurentin, lorsqu’elle écrit que <strong>la</strong> sorcellerie<br />

africaine, dans sa conception organique et non, agit globalement selon un principe qui<br />

correspond au « concept » d’anti-nourriture (1974 : 165). Dans ce sens, elle peut être « une<br />

anti-nourriture « spirituelle », en empêchant les gens de réussir dans leurs entreprises » (ibid.).<br />

L’idée d’un « empêchement » est centrale dans <strong>la</strong> croyance banda à <strong>la</strong> métamorphose et, plus<br />

en général, à <strong>la</strong> sorcellerie. Cet « empêchement » est l’objet de <strong>la</strong> <strong>la</strong>mentation<br />

« interminable », l’expression de ce que nous appelons <strong>la</strong> rhétorique de <strong>la</strong> dépossession. En<br />

dénonçant ces multiples empêchements mystiques, les hommes et les femmes banda se situent<br />

dans un espace d’exclusion et de déconnexion (Ferguson, 2006 : 166 ; 2008 : 10) au regard<br />

des ressources dont jouiraient les habitants des autres villes centrafricaines ou les « voisins »<br />

camerounais : ces lieux doivent être assumés ici comme les points de repère d’une<br />

imaginative geography of the metropolitan space (Bhabha, 2004 : 241) qui dénotent moins<br />

des lieux réels que leur distance et leur déconnexion de l’hic et nunc des observateurs<br />

banda 460 . C’est cette « déconnexion » – expression d’une altérité et d’une diversité vécues<br />

comme irréductibles – qui empêcherait les Africains de se mesurer à parité avec les<br />

occidentaux. Dans les termes évocateurs de l’un de nos interlocuteurs : « En Europe il y a des<br />

bulldozers, mais il n’y a pas des hommes bulldozers, alors qu’en Afrique il n’y a pas des<br />

bulldozers, mais il y a des hommes bulldozers » 461 . Selon le Procureur de <strong>la</strong> République au<br />

Tribunal de Grande Instance de Bambari : « Si ces personnes [les sorciers] utilisaient leurs<br />

pouvoirs pour faire évoluer le pays, alors on pourrait les comprendre. Mais, non, ils veulent<br />

garder ça pour faire du mal. C’est ça <strong>la</strong> différence entre les Noirs et les B<strong>la</strong>ncs, les<br />

occidentaux l’utilisent [<strong>la</strong> sorcellerie] pour évoluer, les Africains pour faire du mal » 462 .<br />

La « <strong>la</strong>mentation » parce qu’on serait obligé de travailler sous une forme animale dans<br />

les camps du sorcier/métamorphoseur, ou parce qu’on contribuerait à <strong>la</strong> richesse de<br />

l’Occident et à son apaisement en « gaspil<strong>la</strong>nt » les secrets et les ressources de <strong>la</strong> sorcellerie,<br />

s’inscrit dans un market of sorcery (Ciekawy et Geschiere, 1998 : 5) – une image <strong>la</strong>rgement<br />

























































<br />

460 En présentant notre terrain, nous avons écrit que dans l’espace postcolonial <strong>la</strong> ville de Bangui, le Cameroun,<br />

<strong>la</strong> France et l’Europe doivent être considérés comme des ethnoscapes (Appadurai, 1996 : 48) qui composent une<br />

« géographie imaginaire » <strong>la</strong>rgement influencée par le principe énoncé par le poor farmer du Botswana<br />

(Comaroff et Comaroff, 1993 : xii) : « Things moderns (…) seem always to be in the next vil<strong>la</strong>ge ». Le mot<br />

ethno renvoie donc à une nonlocalized quality (Appadurai, 1996: 48) dont <strong>la</strong> définition – toujours provisoire et<br />

changeante – dépend de <strong>la</strong> perspective de « l’observateur », c’est-à-dire de <strong>la</strong> projection sur un « ailleurs »<br />

imaginé de ses perspectives, ses représentations, ses aspirations et déceptions.<br />

461 C’est l’opinion de l’un des adjoints au Maire de <strong>la</strong> Ville de Bambari, le 28 juin 2007. Les « hommes<br />

bulldozer » sont les nganga et les sorciers, avec leurs pouvoirs mystiques. Cet adjoint au Maire est l’un des<br />

protagonistes de l’affaire de sorcellerie que nous reconstruisons dans le prochain chapitre.<br />

462 Bambari, le 26 juin 2008.<br />

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