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Consulter le texte intégral de la thèse - Université de Poitiers

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Erri De Luca ne dort pas <strong>la</strong> nuit, enchaîné aux pages b<strong>la</strong>nches d’une guerre noire, p<strong>le</strong>ine <strong>de</strong><br />

bombes et <strong>de</strong> cadavres ; <strong>la</strong> connaissance livresque lui ouvre <strong>le</strong>s portes du savoir, <strong>le</strong> conforte dans<br />

l’assurance d’une certaine puissance. Sa vision du mon<strong>de</strong> s’en trouve é<strong>la</strong>rgie, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> Nap<strong>le</strong>s, <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> mer et du Vésuve. Mais si <strong>le</strong>s livres sont une fenêtre gran<strong>de</strong> ouverte, Erri De Luca n’en reste pas<br />

moins recroquevillé dans son lit ; il cherche à terrasser ses peurs, <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce et <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> sont ses<br />

seuls compagnons, <strong>le</strong>s livres sur <strong>la</strong> guerre, ses seu<strong>le</strong>s fab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> chevet.<br />

2.2.11 Une réalité mythique<br />

De tout ce que nous avons examiné, il apparaît que <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> Erri De Luca enfant est bien<br />

différente et bien plus représentative que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> ses prédécesseurs. Blotti dans son lit, se<br />

représentant un univers qu’il finit par s’approprier au travers <strong>de</strong>s livres, il entend toujours cependant<br />

<strong>le</strong>s voix du vicolo et cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> ses enfants battus. Et <strong>de</strong> ce portrait qu’il nous dresse, il n’oublie pas<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssiner <strong>la</strong> noirceur du taudis du quartier, l’obscurité <strong>de</strong>s ruel<strong>le</strong>s, l’amertume <strong>de</strong>s reproches<br />

maternels, <strong>le</strong>s angoissants récits <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre. Il en résulte un tab<strong>le</strong>au qui n’est pas exempt <strong>de</strong>s<br />

thèmes déjà évoqués par Domenico Rea, Anna Maria Ortese, et Raffae<strong>le</strong> La Capria : <strong>la</strong> vitalité du<br />

peup<strong>le</strong> napolitain ou <strong>de</strong>s scugnizzi, et l’enchantement <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer <strong>de</strong> La Capria sont bien présentés<br />

comme éléments libérateurs. Ainsi <strong>le</strong>s éléments <strong>de</strong> convergence entre Erri De Luca et ses<br />

prédécesseurs sont-ils nombreux. Mais il n’en reste pas moins que tout ce<strong>la</strong> reste décor <strong>de</strong> théâtre ;<br />

Erri De Luca se démarque <strong>de</strong> tous, en jouant une comédie qui lui est propre. L’expression qui lui est<br />

particulière <strong>de</strong> <strong>la</strong> comédie <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, <strong>de</strong> ses propres malheurs existentiels et <strong>de</strong>s chagrins <strong>de</strong> chacun<br />

fait que sa vision se détache <strong>de</strong>s autres, parce qu’el<strong>le</strong> est à <strong>la</strong> fois concentrée sur son ego, sur son<br />

enfance <strong>de</strong> souffrances et <strong>de</strong> prises <strong>de</strong> conscience. Il entend <strong>de</strong>s voix qu’il est seul à entendre.<br />

Pour Erri De Luca, Nap<strong>le</strong>s est comme pour <strong>le</strong>s autres écrivains <strong>le</strong> pivot <strong>de</strong> sa propre histoire. A<br />

<strong>la</strong> façon <strong>de</strong> chacun, il crée son mythe <strong>de</strong> <strong>la</strong> cité parthénopéenne, à <strong>la</strong> différence près qu’il vit ce qu’il<br />

crée. La réalité du vicolo, il <strong>la</strong> décrit comme il <strong>la</strong> ressent, sans fard ni expédient. Les enfants battus,<br />

il en témoigne avec une exactitu<strong>de</strong>. Certes, l’écrivain est dans une voie socia<strong>le</strong> médiane, entre<br />

privilège et pauvreté, entre richesse intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> et dénuement matériel. Mais ses récits, à <strong>la</strong><br />

première personne et à <strong>la</strong> troisième personne du singulier témoignent <strong>de</strong> l’appropriation <strong>de</strong> son<br />

interprétation du réel. Il n’invente pas à <strong>la</strong> manière d’un Domenico Rea, dans <strong>de</strong>s scènes p<strong>le</strong>ines <strong>de</strong><br />

brio comme dans Gesù, fate luce ! Il crée son propre mythe <strong>de</strong> <strong>la</strong> vil<strong>le</strong> et <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité en partant<br />

d’expériences vécues et intégrées dans sa chair, se reportant toujours à une enfance fondatrice <strong>de</strong><br />

ses propres mythes : enfance p<strong>le</strong>ine <strong>de</strong> frayeurs, <strong>de</strong> frissons, et <strong>de</strong> sueur 1 vécue <strong>le</strong>s yeux fermés et <strong>le</strong><br />

nez bouché, mais <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s gran<strong>de</strong>s ouvertes ! Si on se réfère aux œuvres <strong>de</strong> Anna Maria Ortese,<br />

<strong>de</strong> Domenico Rea et <strong>de</strong> Raffae<strong>le</strong> La Capria jusqu’ici analysées, et qu’on <strong>le</strong>s compare à cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Erri<br />

De Luca, il apparaît que <strong>la</strong> différence essentiel<strong>le</strong> rési<strong>de</strong> dans <strong>le</strong> fait que notre écrivain a <strong>de</strong> sa vil<strong>le</strong><br />

Trad. (La pièce tapissée <strong>de</strong> livres jusqu’au p<strong>la</strong>fond, avait un son feutré) ; I<strong>de</strong>m, p. 99. “ Nel<strong>la</strong> tua casa nei quartieri<br />

vecchi c’era un si<strong>le</strong>nzio viziato di finestre chiuse e librerie sovraccariche” Trad. (Chez toi, là-haut dans <strong>le</strong>s vieux<br />

quartiers, régnait un si<strong>le</strong>nce vicié <strong>de</strong> fenêtres closes et <strong>de</strong> bibliothèques surchargées)<br />

1 ERRI DE LUCA, Napòli<strong>de</strong>, op. cit. , p. 57. “Qui fu Napoli come l’ho conosciuta e come si è stampata a calco di<br />

scirocco e di tramontana sui brividi e sudori di un bambino” Trad. (Ici fut Nap<strong>le</strong>s comme je l’ai connue et comme el<strong>le</strong><br />

s’est gravée à calque <strong>de</strong> sirocco et <strong>de</strong> tramontane sur <strong>le</strong>s frissons et <strong>le</strong>s sueurs d’un enfant)<br />

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