F.P. De Sanctis - Le phénomène du fondement

§ 19. L’irréalité de l’économieet la généalogie de l’histoireUne recherche génétique ouverte par le sentiment nous semble des plus fécondes. Lesentiment est à la fois une notion du fondement, à la fois une apparition-limite, à la foisun nœud critique. Le sentiment représente donc, à nos yeux, la fondation la plusintéressante du point de vue de sa recherche, celle qui permet de penser autrement latranscendance. En suivant Spinoza, si nous trouvons une chose bonne, c’est parce quenous la désirons. « Par sentiments, j’entends les affections du corps, par lesquelles lapuissance d’agir de ce corps est augmentée ou diminuée, aidée ou contenue, et en mêmetemps les idées de ces affections 1 . »Mais celle-ci n’a pas été la direction suivie par Henry. Le Marx reprendra etapprofondira la théorie de l’effort développée dans Philosophie et phénoménologie ducorps. Si celui-ci ouvrait la fondation à une difficile première intentionnalité del’immanence (ce « critère d’extériorité » du fondement), tout en laissant inaperçue laquestion du « support » des signes, celui-là se lance, par la notion de travail vivant, endirection de la fondation de l’illusion jusque dans l’irréalité la plus illusoire,l’économie.La praxis et le travail vivant. L’idéologie comme apparition-limite.Le Marx est l’ouvrage où la « réalité » fonde non pas seulement l’économie commesa propre Némésis, mais surtout l’économie comme opportunité de sa proprealiénation : la réalité elle-même tombe sous les coups de l’irréel, le fondementsuccombe réellement sous les coups du fondé. Ce déphasage explique son confinementaux marges du thème de l’onto-phénoménologie du fondement : mais il pourrait biens’agir, plutôt, de l’ouvrage où le fondement affronte la transcendance en considérantcelle-ci de la manière la plus radicale, comme une irréalité réelle. Son enjeu n’est paspour autant secondaire, bien au contraire.Pour ce faire, Henry a recours aux Manuscrits de 1844, parus lorsqu’une δόξα1. B. Spinoza, Éthique, Paris : Gallimard, 1954, 3 e partie, III, p. 181 (trad. Caillois) nous soulignons.391