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Je me réveillai à nouveau dans le noir, haletant <strong>de</strong> soif, et,<br />
bien que me souvenant encore <strong>de</strong> la souffrance ressentie la<br />
<strong>de</strong>rnière fois que j’avais bu, je savais qu’il me fallait fournir <strong>de</strong><br />
l’eau à mon organisme si je voulais gar<strong>de</strong>r un espoir <strong>de</strong><br />
guérison. Je me glissai péniblement jusqu’à la rivière, l’intestin<br />
traînant <strong>de</strong>rrière moi, et je bus l’eau trouble <strong>de</strong> la rive. Je n’en<br />
éprouvai aucune torture dans les boyaux ; apparemment, mon<br />
corps <strong>de</strong> Mueller était capable <strong>de</strong> faire face même à une blessure<br />
aussi étendue, et il avait fermé quelque part la connexion qui<br />
laissait passer l’eau. Ce faisant, toutefois, il avait contourné une<br />
bonne part <strong>de</strong> mon intestin. Celui-ci, inutile, continuait à se<br />
répandre et à traîner dans l’herbe et la poussière, et j’étais trop<br />
fatigué pour essayer <strong>de</strong> le nettoyer.<br />
Le jour revenu, le soleil me tira du sommeil. Cette fois,<br />
j’entendis parler et crier. On courait sur l’autre rive. Les<br />
Nkumaï, si assurés et silencieux dans les grands arbres,<br />
n’étaient pas doués pour lire les signes au sol, sinon ils auraient<br />
aussitôt repéré l’endroit où je m’étais traîné jusqu’à la rivière<br />
pour boire la nuit précé<strong>de</strong>nte. Je restai muet et immobile dans<br />
le buisson où je m’étais caché, et mes poursuivants passèrent<br />
leur chemin.<br />
Je dormis à nouveau, et cette nuit-là je me glissai encore<br />
jusqu’à l’eau pour boire. Le bout d’intestin qui pendait <strong>de</strong>rrière<br />
moi me paraissait plus large et difficile à traîner, mais c’était<br />
sans doute dû à mon épuisement. Je m’endormis à nouveau.<br />
L’eau était souillée. Je me mis à vomir tôt le len<strong>de</strong>main<br />
matin, et dès le début je vomis du sang. Je n’ouvris pas les yeux,<br />
me contentant <strong>de</strong> me tordre <strong>de</strong> souffrance, et je fus pris <strong>de</strong><br />
panique à l’idée que la fièvre ne mène au délire, et que le délire<br />
ne mène à moi mes assassins en puissance.<br />
J’ignore combien <strong>de</strong> temps je restai fiévreux et inconscient.<br />
Mais je sais vaguement que je finis par retrouver assez <strong>de</strong> forces<br />
pour marcher, toujours dans un état semi-léthargique, et tituber<br />
à travers la forêt. Seule l’ignorance <strong>de</strong>s Nkumaï me sauva, car je<br />
n’étais pas assez conscient pour me montrer pru<strong>de</strong>nt. J’avançais<br />
peut-être <strong>de</strong> nuit. Ou ils avaient abandonné les recherches. Je<br />
ne sais pas. Mais je passai <strong>de</strong> la rivière à <strong>de</strong>s ruisseaux plus<br />
propres, et je bus. Les arbres formaient un brouillard brun sans<br />
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