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épartissant selon les motifs aléatoires <strong>de</strong> la paix. Pour autant,<br />
je ne croyais pas le mon<strong>de</strong> en paix. Il ne l’avait jamais été.<br />
Sauver le mon<strong>de</strong> ? De quoi ? Je n’avais pas d’illusions. Je ne<br />
pouvais même pas me sauver moi-même.<br />
Je pouvais néanmoins le savourer ; or ici, à Ku Kuei, il était<br />
fa<strong>de</strong>. Maintenant que Celui-qui-tomba-sur-les-fesses était mort,<br />
<strong>de</strong> même que Père, Saranna figée dans le temps et Celui-quisait-tout<br />
persuadé que je ne maîtriserais jamais mieux le temps,<br />
je me dis que le moment était venu <strong>de</strong> partir.<br />
« Ne t’en va pas, répondit Saranna quand je lui en parlai.<br />
— Je veux partir, et je partirai.<br />
— J’ai besoin <strong>de</strong> toi. »<br />
Son regard disait sa peur. Je restai donc un peu plus<br />
longtemps. Je restai avec elle, dans son flux temporel, pour<br />
encore un jour, une nuit et un autre jour <strong>de</strong> temps réel. Nous<br />
avons fait l’amour et échangé beaucoup <strong>de</strong> mots tendres qui<br />
nous feraient plus tard <strong>de</strong> bons souvenirs et adouciraient la<br />
séparation. Parmi les propos tenus, un « Pardonne-moi » et un<br />
« Je te pardonne », bien que je ne sois plus très sûr aujourd’hui<br />
<strong>de</strong> qui vit ses remords ainsi apaisés. Je doute que ce fut moi.<br />
Quand je partis, elle ne pleura pas et moi non plus, même si<br />
nous en avions tous <strong>de</strong>ux envie, je crois. « Reviens-moi, dit-elle.<br />
— D’accord.<br />
— Reviens vite. Reviens tant que tu es assez jeune pour avoir<br />
envie <strong>de</strong> moi. Parce que je vais être jeune à jamais. »<br />
Pas à jamais, Saranna, pensai-je sans le dire. Jeune<br />
seulement le temps que la planète <strong>de</strong>vienne vieille et soit avalée<br />
par une étoile. Alors tu seras vieille, et les flammes flétriront ce<br />
que le temps n’aura pas pu toucher. Et parce que tu as choisi <strong>de</strong><br />
te cacher du temps, les flammes te brûleront infiniment avant<br />
que tu ne meures.<br />
Je pensais en la quittant que je ne la reverrais jamais, et donc,<br />
une fois sorti <strong>de</strong> son flux, je me retournai et gravai son image<br />
dans ma mémoire, une larme quittant tout juste son œil, un<br />
sourire aimant sur le visage, les bras qui se tendaient pour un au<br />
revoir – ou peut-être pour me rattraper. Elle était terriblement<br />
adorable. La jolie fille avait perdu sa terre, sa famille, tout ce<br />
qu’elle aimait, et cette souffrance l’avait propulsée au rang <strong>de</strong><br />
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