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Bernard Taverne, Alice Desclaux, Papa Salif Sow

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CHAPITRE III-1De l’expérience des PvVIH à des carrières de malades chroniquesird-00718213, version 1 - 16 Jul 2012« A l’époque il fallait me voir, j’étais très maigre. Je nevoulais plus rien. Je ne pensais à rien, même pas àm’habiller. Je me disais que je fais mon héritage. Dèsqu’un de mes neveux me disait telle chemise ou tellepaire de chaussures est jolie, je lui disais de prendre.Après, tout le monde, particulièrement ma mère medisait « si tu continues, tu vas mourir avant ton heure. Ilfaut continuer comme tu faisais, t’habiller, t’occuper detoi, vivre ». Maintenant, je joue, je danse, je chante et lesgens rigolent bien. Parfois, j’en arrive à oublier que je visavec la maladie. (…) Pourtant, au début, je me demandaiss’il n’était pas mieux que je me suicide. Je medemandais que faire ? C’est là que j’ai commencé àdonner mes outils autour de moi et à me dire que jen’attendais que la mort. (…) Je me sens beaucoupmieux maintenant. Je pensais que je n’allais pas vivreplus de un an ou deux ans. Tu sais le neveu dont je teparle, je lui ai donné tous mes outils. Le reste je les aidonnés à un de mes apprentis. Il reste un « serre-joints »que j’ai demandé à un ami de venir prendre » (Doudou,46 ans).Mais contrairement à d’autres maladies (cf. Adam &Herzlich, op. cit.), l’incertitude s’amenuise pour desPvVIH qui ont recommencé à faire des projets inscritsdans le long terme : travailler, se marier, avoir desenfants, faire partie d’une tontine, donner des produits àcrédits, etc. Cela n’empêche pas que le travail de cesPvVIH ait été souvent soumis au bon vouloir de la maladie.Nombreux sont ceux qui ont arrêté l’activité qu’ilsavaient avant de tomber malades et se sont reconvertis,comme certains responsables associatifs et lestravailleurs contractuels des « métiers du VIH ». Ilsétaient commerçants, hommes d’affaires, etc. et onttrouvé une occupation plus conforme à leur état de santéet à leur nouvelle aspiration de mettre leur santé aupremier plan. Ils sont ainsi devenus médiateurs,employés (volontaires) dans les associations, adjointsdes équipes médicales (accueil, laboratoire, etc.).Ceux qui travaillent dans d’autres sphères professionnellessont obligés de cacher leur statut pour continuer àavoir la confiance et l’estime de leurs proches qui sontparfois leurs employeurs. Cette confiance est aussiprimordiale pour les personnes peu qualifiées commeles domestiques qui peuvent être licenciées dès qu’ellessont soupçonnées d’un statut VIH+, dans un contexteoù la peur de la contamination est toujours présente.5.2. Un équilibre instable au prix du secretLes personnes qui relèvent de ce profil de carrière n’ontsouvent pas communiqué leur statut VIH à leurs proches.Sous des dehors de bien-être, leur stabilité sur le planpsychologique et social peut basculer du jour au lendemainsi leur conjoint ou un tiers venait à apprendre leur atteinte.Dans cette situation, certains n’ont pas d’autre optionqu’évoquer des stratégies que la morale ne leur permetpas d’appliquer, comme, pour une femme, contaminerson mari pour qu’il ne la quitte pas après la découvertede son état sérologique. L’entourage n’étant pas informédu statut sérologique ne peut pas leur apporter une aidecirconstanciée. Les personnes qui ont cette « carrière »réduisent leurs fréquentations, préférant s’entourer depersonnes de confiance et susceptibles de faire preuvede compréhension. Elles développent une peur quantaux conséquences de la loi sur le VIH qu’elles critiquentparce qu’elle ne leur paraît pas régler les problèmes descouples. Le fait de devoir révéler son statut sérologiquedans un délai imparti leur pose problème : le délai estjugé trop court pour se préparer et choisir le bonmoment sans courir de risque majeur.Le maintien du secret sur le statut VIH a des conséquencesdans d’autres domaines de la vie sociale : ainsi, lasexualité est souvent mise entre parenthèse par lesdivorcés et les célibataires, qui ne veulent pas avoir àrévéler leur statut.5.3. Un nomadisme thérapeutiqueQuelques PvVIH semblent n’être pas particulièrementrespectueuses du traitement antirétroviral qu’ellessemblent considérer de la même manière que tout autretraitement qui mérite d’être tenté. Lorsque leur état desanté s’améliore, ces PvVIH se demandent si elles sontvraiment infectées par le VIH. Elles ont recours auxtradi-praticiens, et pour elles toutes les offres de guérisondéfinitive sont les bienvenues. Ces recours alternatifspeuvent être ponctuels, mais parfois répétés et durables,conduisant la personne à faire des aller - retouravec le système de santé biomédical. Ces personnespartagent peu leurs états d’âme et se retirent des activitéssociales (loisirs, rencontres avec les anciens amis,etc.) préférant une expérience solitaire. Leur carrière estcelle d’expérimentateurs pragmatiques des propositionsthérapeutiques.5.4. Des carrières marquées par le contextede pauvretéCes trois profils de carrières (normalisation teintéed’incertitude, équilibre instable au prix du secret, nomadismethérapeutique) concernent des personnes, dontles effectifs ne sont pas également répartie entre lestrois catégories, qui ont aussi des pointscommuns. Ellespartagent les mêmes conditions économiques, quidominent souvent le tableau et estompent les différencesd’expérience de la maladie. La cessation de l’activitéprofessionnelle au moment où elles ont été malades,la difficulté à en trouver une autre, ont conduit114

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