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Bernard Taverne, Alice Desclaux, Papa Salif Sow

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CHAPITRE IV-6L’expérience du veuvage dans le contexte du VIHird-00718213, version 1 - 16 Jul 2012Bigué: En plus tout le monde te reproche de ne pasvouloir te remarier.Tokoselle: Mis à part les difficultés financières, lesveuves d’une manière générale sont mal vues. Ellessont accusées de refus de remariage alors qu’ils neconnaissent même pas les raisons de ton refus.Des proches interprétent aussi la pratique religieusedans un sens disqualifiant les veuves :Bigué: Moi aussi je le vis mal, les gens me disentsouvent ‘tant que tu n’as pas de mari, tes prièresresteront vaines’ et que si jamais je mourrais, on vame donner en mariage à un ëkk, un bâton inutile (7) .Mais ce sont des faux problèmes, ce n’est pas lareligion qui le dit. L’essentiel c’est de pouvoir s'absteniret de ne pas commettre d’adultère ou de fornication.Et moi je suis sûre que je me suis abstenue.Mais eux, ils disent toujours que même le jeûne quej’observe est inutile si je n’ai pas de mari. Je leur disjuste que je n’ai pas encore rencontré quelqu’un etque le jour où je le rencontrerai, je me marierai.Les femmes veuves sont victimes de la représentationsociale selon laquelle une femme qui ne cherchepas à se remarier ne pourrait survivre sans relationssexuelles et économiques avec un homme. Certainesd’entre elles semblent y adhérer jusqu’à uncertain point, acceptant de se justifier.(7)Ëkk = souche (Dictionnaire Wolof Français, Diouf 2003). Il est rapportéque lorsqu’une femme meurt célibataire ou veuve, elle est enterrée avec unbâton qui symbolise son mari puisqu’une femme ne doit pas mourir sans mari.Ce terme est aussi utilisé comme métaphore pour désigner une femme stérile :à l’image d’un bâton sec (sans feuilles), cette femme est incapable de mettreau monde un enfant.Kalimatou : Moi aussi j’ai le même problème. Mesparents et oncles ont fait leur délégation pour venirme convaincre de me remarier. Je leur ai dit simplementque je n’ai pas de compagnon et que je ne faisrien de mal. Je n’ai commis aucun péché sur ce plan.Mon père me dit que le mariage est une formed’adoration de Dieu. Au début je leur disais d’accord,je veux me remarier, je veux juste attendre jusqu’à ceque les enfants grandissent, mais moi-même j’ai ététraumatisée chaque fois que j’entre dans ma maison.Ainsi la valeur sacrée attribuée à l’institution dumariage évoquée par un père vient renforcer ladisqualification sociale des femmes exclues de cetteinstitution par le décès de leur époux. La dimensionmorale qu’ajoutent les discours sur la « libertésexuelle » imputée aux veuves les rend de surcroîtresponsables et coupables de leur statut. Les interprétationsen termes de reproduction de la dominationmasculine semblent pouvoir être convoquéessans surinterprétation dans cette situation où « lavictime est blamée ». Le caractère contraignant desrapports de pouvoir concernant la question dumariage s’exprime de manière très explicite auniveau micro-social :Défa : Moi mes parents et connaissances mefatiguent, soi-disant que ce n’est pas bien de resterseule surtout que je suis encore jeune. D’ailleursc’est pourquoi j’ai quitté chez mes parents (frères).Parce qu’ils voulaient me donner en mariage par laforce, mais j’ai refusé. Et le fait qu’ils me prennententièrement en charge ainsi que ma fille sans leurobéir leur posait problème. J’ai préféré quitter lamaison pour louer seule avec ma fille.Ainsi les veuves, indépendamment de la cause dudécès de leur conjoint, semblent avoir une vie trèsdifficile dans la société sénégalaise. Si elles partagentcertains aspects concernant les difficultéséconomiques quotidiennes avec les catégories lesplus pauvres de la société, leur situation est marquéepar l’intrication entre des responsabilités par rapportà leurs enfants et une absence d’autonomie financière,sociale, et même sur le plan de la vie affective,par rapport aux collatéraux et ascendants qui contribuentà leurs ressources. Une femme veuve est« prise en charge » et traitée comme une dépendante,c’est-à-dire comme mineure, par les hommes(frères, beaux-frères) dont elle dépend économiquementou socialement même si les hommes ont demoins en moins la possibilité d’avoir des revenus. Lavie d’une femme est toujours perçue comme illégitimehors du cadre du mariage, et la pression socialepour un remariage rapide s’exerce à plusieursniveaux et selon plusieurs modalités : les histoirespersonnelles recueillies montrent que même un frèrecadet d’une femme veuve peut la critiquer sur « sesmœurs ». Dégradation du statut social, disqualificationet accusation de déviance dans le domaine de lasexualité, ces observations sont assez éloignées desinterprétations qui considèrent les « femmes autonomes» comme une figure émergente en temps decrise, qui attesterait de changements dans lesrapports de pouvoir entre hommes et femmes dansl’Afrique du 21ème siècle (7).Ces récits et observations sont en accord avecl’histoire culturelle inscrite dans le lexique wolof,qui associe veuvage et prostitution. Cette connotationest perceptible si l’on met en regard lestraductions des termes désignant les veuves danstrois dictionnaires :- Le dictionnaire de Dard donne en 1825 la définition263

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