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Bernard Taverne, Alice Desclaux, Papa Salif Sow

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CHAPITRE III-2Lipodystrophies : perceptions et souffrance des personnes atteintes, réponses collectivesird-00718213, version 1 - 16 Jul 2012des parties du corps visibles dans les interactions de lavie courante paraissent les plus sensibles, maisplusieurs personnes atteintes d’une fonte des joues nesemblent pas avoir perçu ce trait comme un symptômepathologique. Ces personnes qui n’expriment pas deplaintes sont essentiellement des hommes et despersonnes assez maigres pour que l’atrophie necontraste pas de manière évidente avec la forme duvisage ou la corpulence générale. Les lipodystrophiesne semblent pas être perçues par des tiers commedirectement liées au VIH ou au traitement antirétroviral.Les seules sources d’information des personnes interrogéesà propos des lipodystrophies sont les professionnelsde santé et dans quelques cas des membres associatifs.Néanmoins, quelques personnes diagnostiquéespar les médecins comme atteintes de lipodystrophiescliniques (notre critère de sélection pour cette étude) nesemblent pas en avoir été informées. Enfin, l’absencede représentation très définie et commune des lipodystrophiesévite une stigmatisation fondée sur cestroubles. Cependant, plusieurs personnes décrivent unétat de souffrance psychologique trouvant son originedans les lipodystrophies.4.2 Les sources de la souffranceLes lipodystrophies apparaissent comme des troublesperçus de manière assez subjective, n’entrainant nidouleur ni gène fonctionnelle. Dans ce contexte, quelspeuvent être les motifs de souffrance et, le cas échéant,les conséquences de cette souffrance chez les personnesatteintes ? Ces motifs semblent renvoyer à septdimensions.Les nerfs sortent : aux limites du pathologiqueet de l’esthétiqueMême si les lipodystrophies ne semblent pas porter lasignification sociale d’un stigmate dans la populationgénérale à Dakar en 2010, les personnes atteintesrapportent qu’elles peuvent être génantes. Ce trouble,au substrat objectif, n’apparaît comme porteur desouffrance que par la manière dont il est considéré parla personne et par les tiers. Sa tolérance dépend enpremier lieu des représentations sociales qu’il mobiliseselon chaque individu. Plus exactement, cesreprésentations collectives semblent faire l’objet despéculations ou au moins d’interrogations de la partdes personnes atteintes.Ainsi, Ndeye ne se plaint pas de la gène fonctionnelle oudes perceptions corporelles dûes à son amaigrissement,mais de ce qu’en disent les gens et de ce qu’ilspourraient en penser. C’est elle qui rapporte les proposde tiers les plus explicites :« Evidemment, ça me gêne beaucoup. Chaque foisque je croise mes parents, ils me disent : « dangadiéx, danga diéx » (tu as maigri, tu as maigri) et celame gêne beaucoup. Ils me disent ‘ton visage achangé, il est déformé’. »Plusieurs personnes décrivent leurs troubles comme àla limite entre normal et pathologique : « J’ai juste remarquéles changements et ça me perturbe. » dit Aïcha, quidans son récit rapporte les moments où elle oublie et lesmoments où elle en souffre. Ces derniers moments sonttous déclenchés par une remarque d’un tiers ou par lefait qu’elle s’est observée et a comparé son corps avecce qu’il était autrefois.« Parfois, ça me coupe l’appétit, sinon, parfois je resteseule dans ma chambre à penser. Je ne dors pas la nuit.Au réveil, j’entre dans les toilettes, je me déshabille etj’observe mon corps, mes mollets. C’est pourquoi jen’étale même plus mes jambes. On m’a fait la remarquedeux fois, soi-disant que mes mollets sont devenusminces, depuis lors, je les cache. » AichaComme pour Aicha, les propos d’autres personnesinterrogées montrent qu’elles n’ont pas été directementvictimes de critiques ou de discrimination, d’étiquetageou même de « othering » (10) . Ces propos ne renvoientpas non plus d’emblée à une appréciation esthétique quimettrait en avant la déformation. Selon la plupart despersonnes qui les mentionnent, les propos de tiers nefont que signaler un changement morphologique, quidevient le support d’interprétations par l’individu qui ensouffre. Cette observation induit-elle que les lipodystrophiesn’auraient d’importance qu’en fonction desinterprétations des personnes et selon leurs attitudesrelevant de dimensions psychologiques ? L’analyse despropos des personnes qui manifestent une souffrancerévèle la dimension sociale de sa genèse.Une maigreur évocatrice du sidamalgré le traitement« Mais lorsqu’on me pose tout le temps ces questions,je me remets en cause. Ça me perturbe beaucoup.C’est pourquoi parfois je n’arrive même pas àmanger. Ça me fait des soucis. J’ai vraiment envie deme le sortir de la tête, mais je n’y arrive pas. Parfoisje prie, je demande au Bon Dieu de me libérer de cespensées. Parfois j’essaie d’oublier en discutant avecdes gens, je rigole, j’essaie d’oublier. Mais je n’yarrive pas… » (Aicha)Il est évident qu’Aicha souffre de sa morphologie, etce depuis plusieurs années. Dans le tableau complexequ’elle décrit, qui associe surtout un amaigris-126

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