12.07.2015 Views

Bernard Taverne, Alice Desclaux, Papa Salif Sow

Bernard Taverne, Alice Desclaux, Papa Salif Sow

Bernard Taverne, Alice Desclaux, Papa Salif Sow

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

CHAPITRE V-6Mesurer la stigmatisation : comparaison entre approches relativiste et universaliste auprès des veuvesird-00718213, version 1 - 16 Jul 2012Dans ce chapitre nous avons comparé les niveaux destigmatisation décrits grâce aux « critères objectifs »de questionnaires issus des Outils génériques del’OMS, et l’expérience sociale des femmes expriméelors d’entretiens qualitatifs. Un outil quantitatif transculturel(questionnaire et score) a été confronté à uneapproche qualitative relative et adaptée au contexte(notamment sur le plan linguistique). Les résultatsobtenus par ces deux méthodes sont très différents :d’une part un niveau de discrimination très faible (plusfaible dans notre population d’enquête que dansl’ensemble de la population ANRS 1215) ; d’autre partdes expériences de vie marquées par la dépendancesocioéconomique et l’incapacité à sortir d’une situationd’impasse sur le plan matrimonial, vécues commeune souffrance.Ces résultats opposés peuvent être expliqués enpremier lieu par les stratégies mises en place par lesfemmes pour se protéger de la stigmatisation, assezefficaces pour que celle-ci devienne inapparente, aumoins pour certaines méthodes de recherche. Il s’agitnotamment du maintien du secret sur son statut VIH,mais aussi de stratégies plus subtiles de préservationdes liens intra-familiaux, ainsi que du recours au traitementantirétroviral qui permet d’éviter les signes de lamaladie, du maintien d’une apparence physique quine déparre pas le statut social de la famille, del’évitement d’espaces sociaux à risque, de la participationà la production de ressources qui permet d’éviterle rejet et donne un statut dans l’espace familial.D’autres éléments contribuent à rendre la stigmatisationpeu perceptible aux outils d’enquête, tels que lecaractère non spécifique des attitudes, notammentdans le cas d’une population déjà sensible à d’autresformes de vulnérabilité sociale et soumise à unediscrimination « multi-niveaux ». La notion de discriminationet stigmatisation, dans sa définition courante (12) ,peut être appliquée aux femmes sénégalaisesconfrontées au veuvage quelle qu’en soit la cause, carelles sont traitées de manière distincte et plus dévalorisanteou péjorative que les femmes en situationd’union matrimoniale. Ainsi, l’association au VIH peutvenir amplifier le caractère a priori défavorable dutraitement social des veuves. Cette forme de discriminationnon spécifique, liée au VIH par un rapport « desecond degré », est moins facile à décrire que desformes de discrimination spécifiques au VIH.C’est aussi ce qu’évoquent Nyanzi et al. (Nyanzi,Emodu-Walakira, et Serwaniko 2011), lorsqu’ils montrentque la condition actuelle des femmes veuves enOuganda n’est pas forcément dominée par la soumissionau « ritual cleansing », une relation sexuelle ritualiséedestinée à nettoyer la marque de la mort, qui afocalisé les discours de défense des femmes –plusparticulièrement des veuves- en Afrique de l’Est. Cesformes très spécifiques d’actes censés transmettre leVIH sont d’autant mieux mis en avant dans les discoursqu’ils peuvent être associés à un trait culturel local àconnotation symbolique, et permettent d’associersymboliquement la lutte contre le VIH/sida, la défensedes femmes et la lutte contre les « croyances » jugéesdépassées. Qu’il s’agisse du « nettoyage rituel »examiné par Nyanzi et al. ou du lévirat qui a étéprésenté comme une forme de vulnérabilité desfemmes veuves vivant avec le VIH au Sénégal (13) , cesexpressions culturelles spécifiques n’apparaissent pascomme des motifs majeurs de vulnérabilité dans lesdescriptions que les femmes sénégalaises veuves fontde leur expérience.Les expériences rapportées par les femmes montrentque leur vulnérabilité s’exprime plutôt de manière nonspécifique, dans les modes d’organisation familiale quibrident leur autonomie, des rapports de statuts notammentavec des parents de sexe masculin qui limitent leurexpression, la dépendance économique et relationnellevis-à-vis de tiers, la légitimité de tiers à émettre unjugement moral à leur propos, des « pertes de chance »dans leur vie familiale et personnelle. Ceci est particulièrementapparent dans les aspects suivants : le fait d’êtreidentifiée comme atteintes par le VIH ; l’incapacité àannoncer son statut VIH à ses proches pour réduire lapression qu’ils exercent en faveur d’un remariage ;l’incapacité à annoncer son statut à un prétendant parcrainte que celui-ci ne le divulgue à des tiers ; la perceptiond’être contagieuse ; l’incapacité à retrouver unconjoint. Ces dimensions comportent une part desoumission, où le lien avec le VIH est particulièrementprégnant : se percevant contagieuses et marquées parla perception péjorative du VIH et des personnes atteintesdans la société sénégalaise, la plupart des femmesveuves que nous avons rencontrées « adhèrent »jusqu’à un certain degré à leur stigmatisation, alors quesimultanément elles déclarent en souffrir. Ce chapitreouvre donc la voie à des questions plus complexes surle sens accordé à la stigmatisation et son rapport avec lasouffrance sociale dans divers systèmes sociaux ; pouren affiner la compréhension, il est peut-être nécessairede comparer de manière transculturelle les expériencesde personnes vivant la même situation sociale deveuvage lié au VIH.(12) Voir la définition en début d’article.(13) Le lévirat a été combattu au Sénégal pour le risque qu’il comporte detransmission du VIH par la veuve aux collatéraux du défunt. Le souci de lacondition des veuves n’apparaissait pas dans les publications sur ce sujet.392

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!