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Bernard Taverne, Alice Desclaux, Papa Salif Sow

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CHAPITRE III-2Lipodystrophies : perceptions et souffrance des personnes atteintes, réponses collectivesird-00718213, version 1 - 16 Jul 2012L’aspect psychologique explique la grande diversitéinter-individuelle des expériences (correspondant àla dimension illness de la maladie) : certains neperçoivent même pas le trouble comme un symptôme,alors que pour d’autres il est suffisammentsignificatif pour remettre en cause le sens de la vie.Ainsi l’expérience individuelle des lipodystrophiesest-elle révélatrice d’un état de santé psychologiqueet des besoins de soins. C’est ce que montre, entreautres, l’entretien réalisé avec Aïcha :« … Lorsqu’on me pose tout le temps ces questions (àpropos de questions sur son physique), je me remets encause. Ça me perturbe beaucoup. C’est pourquoiparfois je n’arrive même pas à manger. Ça me fait dessoucis. J’ai vraiment envie de me le sortir de la tête,mais je n’y arrive pas. Parfois je prie, je demande auBon Dieu de me libérer de ces pensées. Parfois j’essaied’oublier en discutant avec des gens, je rigole, j’essaied’oublier. Mais, je n’y arrive pas… »… « Le médecin m’apourtant dit que je n’ai pas changé aussi considérablement,les gens ne font que parler. »Le propos objectivant et rassurant du médecin nesemble pas en mesure de résoudre la tristesse expriméepar Aïcha. D’autres entretiens montrent unedemande d’aide et diverses formes de retentissementpsychologique (tristesse, insomnie, difficultés à se lever,troubles de l’observance, retrait de la vie sociale). Lastratégie d’évitement qui consiste à limiter sa sociabilité,comme l’évoque Fatou, pourrait entretenir ces réactionsdépressives aux lipodystrophies:« Est-ce que les effets des médicaments sur votrecorps vous limitent… ? Oui, actuellement, j’ai un peude complexe pour fréquenter les gens. »Au niveau collectif, la dimension essentiellementvisuelle des troubles, qui peut les faire considérercomme d’ordre purement esthétique, ne minore pasleur importance dans l’expérience des personnessous traitement. Leurs propos associent d’ailleurssouvent la santé, l’esthétique et la présentation desoi, difficiles à dissocier comme si négliger son apparenceétait un signe de dépression ou de maladie.Ainsi Ilam déclare : « Je ne pense pas que les genspuissent soupçonner ma maladie. Je m’habillecorrectement. Dama beugueu sama bop (je suiscoquette). En plus j’ai la forme… »L’atteinte du visage est particulièrement difficile àvivre car elle semble remettre en question l’identitédes personnes qui se plaignent de ne plus êtrereconnues ou de n’être vues que comme des malades.En atteste la sensibilité de ces personnes àtoute évocation d’un changement physique, et le faitqu’elles se réfèrent pour se définir à leur visage« d’avant la maladie », utilisant des photos pour fairevaloir la différence avec leur visage actuel.Aussi les lipodystrophies sont simultanément d’unepart révélatrices de l’image que les personnes ontd’elles-mêmes, de la place qu’occupe leur physiquedans la construction de cette image, et d’autre partdestructrices de cette image pour les personnes quin’acceptent pas le changement advenu.Un élément perturbant la temporalitébiographique et la place socialement assignéeAu-delà de l’aspect psychologique, les personnessemblent interpréter les lipodystrophies de manièresdifférentes en fonction du moment de leur survenuedans leur parcours biographique. C’est déjà le caspour le surpoids, dont Awa explique bien qu’il n’estpas dévalorisant dans la société sénégalaise…lorsqu’il survient à un âge mûr :« … les gens (…) ne me font pas trop de remarquesparce que ma mère elle, elle a du poids, mais, elle aeu beaucoup d’enfants. Donc, prendre du poids pourune femme qui a fait des enfants, c’est tout à faitnaturel. (…) Et vous savez, ici au Sénégal, unefemme qui a du poids, ça ne pose pas de problèmeaux gens. Au contraire, ils te disent de remercier leBon Dieu parce que c’est un signe de bonne santé,alors que… ça me gêne énormément. En tout cas,sur l’aspect social, moi, ça m’a pourri la vie. » (Aicha)Grossir fait paraître plus âgé, et dissimuler leslipodystrophies oblige à cacher son corps, et à« s’habiller vieux ». Ce vieillissement de l’apparences’ajoute aux effets biologiques de l’infection à VIH etdu traitement, comme le déplorent Aicha et Awa :« Même quand je prends le bus, en général, les gensse lèvent pour me céder la place parce qu’ils croientque je suis plus âgée qu’eux. » (Aicha).« Quand on prend du poids aussi, on est obligé d’avoirun certain type de vêtements à porter. Et, c’est desvêtements qui, en général vous rendent vieille. C’est vraiqu’avant, je ne m’habillais pas vraiment sexy, ce n’estpas mon genre. Mais quand même, je ne m’habillais pasvraiment dame comme ça ». (Awa)C’est surtout lorsque l’âge biographique est rappeléou lorsque l’apparence de deux personnes d’âgesdifférents fait l’objet d’une comparaison quel’incongruence entre l’âge et l’apparence imputable139

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