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Bernard Taverne, Alice Desclaux, Papa Salif Sow

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CHAPITRE IVAspects sociauxIV-6L’expérience du veuvagedans le contexte du VIH<strong>Alice</strong> <strong>Desclaux</strong>, Sokhna Boye (1)ird-00718213, version 1 - 16 Jul 20121. INTRODUCTIONDéjà en 2001, la proportion de femmes veuves inclusesdans la cohorte ANRS 1215 semblait très élevée :31% des femmes (1). Dix ans plus tard, leur proportionest moins élevée mais toujours importante : ellesreprésentent 34% des femmes seules, c’est-à-dire19% du nombre total des femmes qui ont participé àl’enquête « Devenir des patients ». Ces femmes sedéclarant veuves en 2009-2010 ne sont pas exactementles mêmes que celles qui se déclaraient tellesinitialement. Néanmoins, ces chiffres reflètent ladifficulté particulière des femmes veuves vivant avecle VIH à Dakar à se remarier. Cette difficulté n’est pasdirectement imputable au seul VIH : dans la plupartdes régions du monde les veuves sont plus nombreusesque les veufs. Ceci est dû, entre autres facteurs,à l’écart entre hommes et femmes pour l’âge aumariage, à un différentiel d’espérance de vie à lanaissance favorable aux femmes, et au fait que lesveuves ont été décrites comme moins enclines à seremarier que les hommes –au moins dans certainessociétés où la question a été analysée, principalementdans les pays développés (2). Au Sénégal,dans la population des 15-49 ans 1,1% des femmeset 0,2% des hommes sont veufs/veuves (3).Cet article s’intéresse aux femmes qui, déjà veuves aumoment de leur inclusion dans la cohorte ou devenuesveuves peu de temps après, le sont toujours aumoment de l’étude, qui a eu lieu pour certaines d’entreelles près de dix ans plus tard. Leur maintien dans unesituation de veuvage, au statut peu valorisant dans lasociété sénégalaise, résulte-t-il d’une incapacité à seremarier ? Ou bien reflête-t-il un choix individuel ? Leveuvage prolongé représente-t-il, dans la sociétésénégalaise, une forme de discrimination associée auVIH, ou une manifestation d’une inégalité de genre ?Il ne s’agit pas ici d’aborder le veuvage selon le sensque lui donne l’ethnologie lorsqu’elle analyse lesrituels ou les liens sociaux pendant la période transitoireplus ou moins longue qui suit le décès, dans uneapproche en continuité avec celle de Van Gennep àpropos des « rites de passage (2) ». Le veuvage est icidéfini de manière plus prosaïque comme l’état d’unepersonne « dont le conjoint est mort (3) »Alors que les travaux des sciences sociales sur lasituation des veuves de manière générale soientassez limités, des études ont porté sur les veuvesdans le contexte du VIH en Afrique. Les thèmes privilégiéspar ces travaux ont été assez focalisés. Ils ontsurtout concerné d’une part le rôle des veuves en tantque délivrant des soins domestiques en particulieraux enfants, notamment en Afrique australe où les« grands-mères » ont été nombreuses à recueillirleurs petits-enfants lorsque les adultes de la générationintermédiaire ont disparu (4). Les effets de ladépendance et le fardeau des soins auxquelles lesveuves sont confrontées ont été explorés, notammenten Namibie (5). D’autre part ces travaux ontporté sur des pratiques considérées comme « traditionnelles» comme le remariage exigeant un « cleansingritual » qui efface la pollution du décès par unerelation sexuelle avec la veuve, décrites en Afriquede l’Est, stipendées pour le risque de transmission duVIH associé ; en Afrique de l’ouest le lévirat a étédénoncé par des médecins pour la même raison. Cescritiques basées sur une rationalité épidémiologiqueont rejoint des dynamiques de changement culturel,notamment lorsque la lutte contre le lévirat et contrele « ritual cleansing » sont adoptées par des Eglisesqui revendiquent une lutte contre des croyances etpar des Etats qui souhaitent se dégager d'archaïsmesculturels. Ainsi l’image d’une « bonne veuve »(qui prend la figure de la grand-mère chargée du soindes enfants et du maintien de la structure familiale) etcelle d’une veuve « dangereuse » (susceptible dediffuser hors du couple le VIH transmis par son défuntmari ou par un rituel) traversent les publicationsmédicales et parfois celles des sciences socialesrelatives à l’épidémie de sida. Ces travaux s’appuientrarement sur l’expérience des veuves elles-mêmes.Du point de vue des rapports sociaux de sexe, onretrouve dans ces figures stéréotypées un équivalentdes figures de « la mère et la prostituée » sousjacentesaux messages de lutte contre le sida dansles années 1990. Si le développement d’une sensibilitéau genre a permis de dépasser cette approche(1)Remerciements à Marianne Ndiaye(2)Cf. Van Gennep A., 1909. Les rites de passage. Paris, Nourry(3)Dictionnaire « Trésor de la langue française »255

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