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Bernard Taverne, Alice Desclaux, Papa Salif Sow

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CHAPITRE III-4 Les plaintes et leur interprétation : effets des antirétroviraux, du VIH ou du vieillissement ?ird-00718213, version 1 - 16 Jul 2012programme à son début il y a plus de dix ans- risquaitd’encourager l’expression d’une satisfaction visant àmaintenir une bonne interaction avec le service de soinset l’équipe de recherche « en général ». Néanmoins, lesconditions de l’enquête, qui ont tenté de faciliter le caractèrespontané et indépendant des témoignages et descommentaires, et le fait que certaines personnes n’ontpas hésité à formuler des doléances et critiques, laissentpenser que les plaintes, en particulier somatiques, ontbien été exprimées.Les personnes que nous avons interrogées ont éprouvédes difficultés et des troubles somatiques – de natureset à des degrés assez divers- qu’elles attribuent essentiellementaux traitements. Ces troubles sont interprétésde manières différentes en fonction du moment de leursurvenue : juste après la prise du traitement, ils sontconsidérés comme une réaction de l’organisme, et dansla période qui suit le passage à un nouveau médicamentils sont souvent considérés comme une manifestationde son travail d’adaptation. Dans les deux cas les symptômesrelèvent du « normal » et ne suscitent pas derecherche de soins, mais la personne met en oeuvredes « stratégies du quotidien » pour en limiter l’impact.Dans les cas où ces troubles correspondent à des effetssecondaires spécifiques et associés à un antirétroviral,ils sont alors identifiés par les médecins et les patientsadhèrent à l’explication qui en est donnée. Cette attitudecollective que rapportent toutes les personnes interrogéespourrait être considérée comme relevant de ceque les sociologues qualifient de « travail de normalisation» dans l’expérience de la maladie chronique, ce quimet bien en relief l’idée que les personnes apprennentde manière plus ou moins inconsciente à construireactivement le symptôme comme un non-événement–en dehors des cas où le médecin le traite comme unproblème.Néanmoins une autre hypothèse peut être discutée :ces effets des traitements sont peut-être peu rapportésparce qu’en dehors de l’ISAARV la possibilité de décrireà un médecin les effets indésirables d’un traitement estrelativement exceptionnelle dans un contexte où lesrecours aux soins relèvent le plus souvent d’une priseen charge « aiguë » et ponctuelle, qui donne peul’opportunité de discuter du traitement a posteriori. Cettedimension ne concerne pas les personnes qui ont destroubles assez invalidants –polypathologies, atteintesneurologiques ou lipodystrophies, dont l’expérience estdavantage analysée dans le chapitre sur les lipodystrophiesque dans ce chapitre.L’attribution des troubles aux médicaments par lespersonnes qui les éprouvent atteste de la prééminencedu modèle interprétatif biomédical. Les séancesd’éducation thérapeutique qui informent à l’avance surles effets secondaires, en complément de l’informationdonnée par les médecins pour permettre de mieuxgérer des effets indésirables en les anticipant, contribuentà cette biomédicalisation en favorisantl’expression des plaintes selon des idiomes dedétresse prédéterminés. Ceci est patent lorsque lespersonnes emploient des termes français pour parlerde leurs troubles au cours d’un entretien réalisé enwolof (exemple : ballonnement).Les explications données par les personnes sur lemode d’action des antirétroviraux portent aussi lamarque du discours biomédical, avec son lexique, sesmétaphores et son argumentation. Le discours biomédicaldiffusé dans cet espace de communication entrepatients, médiateurs, membres associatifs et équipesoignante, correspond cependant à une sélectionparmi les connaissances scientifiques et les discoursen circulation dans le monde médical. L’infection à VIHreste dans les discours locaux une « maladie du sang», quelles que soient les informations données à cetégard, alors que les signes éprouvés par certainspatients, les informations sur les « sanctuaires » ou lesmessages de prévention mentionnant le sperme, lessécrétions vaginales et le lait, auraient pu populariserla notion de diffusion du VIH dans les tissus, les organeset d’autres fluides corporels. Les examens biologiquesrégulièrement pratiqués sur les échantillonssanguins alimentent probablement des représentationsanciennes centrées sur le sang, véhiculées etrenforcées par le caractère simplificateur des messagessanitaires diffusés dans l’espace de communicationlocal (groupes de parole, consultations médicales,échanges avec les médiateurs et entre patients).Nous n’avons pas recueilli de discours très critique surles médicaments, alors que les multiples changementsde formes médicamenteuses par exempleauraient pu être le sujet de protestations. Outre le faitque les personnes qui se sont exprimées considèrenten majorité qu’elles « vont bien » grâce au traitement,ceci tient peut-être au fait que ces personnes ont suiviles avancées en matière de traitement, passant derégimes très contraignants à des formes combinéesnécessitant moins de prises et moins de précautions.Les propos des personnes rejoignent l’appréciation dela pharmacienne du CRCF : les craintes et protestationsapparues lorsque les génériques sont arrivés en2005 ne sont plus de mise. D’autre part l’origine desmédicaments, souvent fabriqués en Asie (Inde, Malaisie)n’est pas un motif d’inquiétude explicite ; c’estaussi ce qui a été observé en Zambie, où les ARV ontchangé l’appréciation des médicaments produits enInde autrefois considérés comme moins puissants que167

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