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Bernard Taverne, Alice Desclaux, Papa Salif Sow

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CHAPITRE III-2Lipodystrophies : perceptions et souffrance des personnes atteintes, réponses collectivesird-00718213, version 1 - 16 Jul 2012L’histoire de cas d’Omar peut éclairer deux formes desouffrance induites ou amplifiées par des déterminantssociaux : celle liée à la difficulté de prévenir outraiter les lipodystrophies par des mesures comportementalesdu fait de leur intrication avec des symptômesmultiples – effets collatéraux des traitements ousymptômes de l’infection à VIH ; et celle que représenteune gynécomastie chez un homme.Les questions relatives à la complexité de la préventionet du traitement sont traitées dans la partiesuivante. La souffrance liée à la gynécomastie nerésulte pas de préoccupations esthétiques car Omarestime que peu de personnes peuvent la remarquer.Elle manifeste plutôt un trouble psychologique imputableà la mise en cause de l’identité sexuée, qui,pour n’être éprouvé que dans l’intimité des relationsconjugales, est assez lourd. Dans le cas particulierd’Omar, cette gène est probablement amplifiée par lastérilité du couple ; son cas attire l’attention sur lasouffrance que peut occasionner, plus généralement,toute gynécomastie masculine.Se sentir vieillir prématurémentFatou, viellir avant l’âge (ou pas)Fatou a 35 ans, elle est femme de ménage et vit enpériphérie de Dakar. Elle a une lipoatrophie visible auniveau du visage et des hanches, pas très importante,et pèse autour de 60 kg. Elle parle de ses« nerfs qui sont sortis ». L’extrait d’entretien suivantest explicite: « Franchement, je ressemble à unevieille. A chaque fois, je me mets devant un miroir, jeme regarde, je ressens vraiment que je commence àvieillir. Et franchement ça me gêne énormément.Parfois ça me fait mal. Je n’arrive plus à porter deshabits que je portais avant. Il y a des habits que j’aigardés dans l’armoire que je ne peux plus porter.Parce que j’ai maigri tellement que je ne peux plusporter ces habits là. » (Fatou)D’autres personnes expriment la même préoccupation,sans qu’elle paraisse autant génératrice de souffrance.« Même ma tante qui a 73 ans est plus jeune que moi »(Anita, 55 ans). Par exemple Joséphine ne se plaint pascar elle considère qu’il est « normal » de paraître âgé à40 ans. La perception d’un vieillissement prématuréparait éminemment subjective, les signes évoquéspouvant être variés, parfois contradictoires, ou extrémementvagues, et ne permettant pas de distinguer unvieillissement que la personne considère comme« normal » de ce qu’elle perçoit comme « prématuré ».Ainsi Ndeye déclare « Evidemment j’ai vieilli car lorsqueje regarde mon visage, je me rends compte que je nesuis plus la même » ; rien ne semble évident dans sonpropos. Sur ce thème apparu comme pertinent dansl’analyse, la performance de notre grille d’entretien est àmettre en cause, en plus de la difficuté objective àapprécier les signes morphologiques du viellissement.Les propos d’Awa sont cependant assez détailléspour qu’on comprenne qu’elle souffre surtout d’êtreconsidérée comme une femme âgée du fait de sonsurpoids. Elle mentionne ce décalage entre son âgeapparent et son âge biographique de manière trèsexplicite quand on lui demande comment elle vit salipodystrophie :« Je la vis très mal. Parce que, pas plus tard que cematin, en venant, une femme qui, je suis sûre, estbeaucoup plus âgée que moi, m’appelle 'Tata'… etquand je me suis retournée, ça m’a fait très mal…J’entends 'Tata', j’entends 'Maman', j’entends 'Mère'à tout bout de champ. Je ne suis pas vieille. Je nesuis pas vieille, je ne suis pas encore mariée, je n’aipas encore d’enfant, c’est parce que c’est le poids. Etça me fait mal. »Ses propos reflêtent son interprétation dépressive :« Mais, vous savez avec les médicaments et la maladie,c’est un peu… on n’est pas assez joyeuse… ».Ne plus se reconnaîtreAdiara, qui se perçoit défiguréeAdiara, 53 ans, a une lipoatrophie des joues très visibleet elle est assez maigre, ayant beaucoup maigri lorsd’un épisode diarrhéique plusieurs années auparavantsans avoir pu depuis lors retrouver son poids initial.Secrétaire de direction, elle s’occupe d’enfants dans unétablissement éducatif. Elle est veuve et vit avec sestrois filles. Elle est sous traitement antirétroviral depuis12 ans mais a dû changer deux fois de régime thérapeutique,notamment quand sa lipodystrophie est apparue.Elle est aussi diabétique et drépanocytaire.Son propos témoigne clairement de sa souffrance :« Ma question principale c’est : pourquoi je continue àêtre défigurée ? Parce que je crois que mon visage làvraiment, s’il était normal je serais plus contente. » …« (Ce qui me gêne le plus c’est…) mon visage, j’aichangé. Chaque fois que je me regarde dans un miroir,je ne me reconnais plus. Mes enfants me disent : ‘Mais,maman, tu n’as pas changé, tu es toujours belle…’.Mais je sais qu’elles me disent cela juste pour me rassurer,me faire plaisir… » … « Oui, tout le temps (les gensm’interpellent sur ça), ‘Oh mais toi pourquoi tu es maigrecomme ça…‘ Surtout si c’est des amies, des promotionnaires,ils disent ’mais toi là, où sont tes formes là ? ’ Jeleur dis : ‘Je les ai mangées...’ »129

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