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Bernard Taverne, Alice Desclaux, Papa Salif Sow

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CHAPITRE IIIL'expérience individuelle et collective des patientsIII-5Typologie de l’expérience du VIH etdes ARV au temps de la « normalisation »<strong>Alice</strong> <strong>Desclaux</strong>, Sokhna Boye, Khoudia <strong>Sow</strong>, Tidiane Ndoyeird-00718213, version 1 - 16 Jul 20121. INTRODUCTIONL’un des objectifs spécifiques de cette étude decohorte ANRS 1215 était d’analyser l’expérience de lavie avec le VIH et les ARV au long cours à Dakar. Alorsqu’est promulguée la « normalisation » de la prise encharge d’une pathologie désormais considéréecomme une maladie chronique, le propos était dedécrire et comprendre et de contextualiser les figuresque peut prendre cette expérience du point de vue despatients sénégalais.Cette question est un objet classique de l'anthropologiemédicale, qui, en considérant que l’expérienceindividuelle et collective de la maladie résulte de lacombinaison de trois niveaux intriqués – illness(l’épreuve individuelle et subjective du patient),disease (l’expression bioclinique de la maladie) etsickness (le traitement social et culturel des personnesatteintes) –, avance que le traitement pharmacologiquene suffit pas à éliminer les effets d’un virus.Cette question fait aussi l’objet d’enjeux particuliersdans le contexte actuel des traitements antirétrovirauxau Sud, où la priorité désormais accordée à la misesous traitement des personnes qui en ont besoin d’unpoint de vue médical peut reléguer au second plan,dans les préoccupations, les appréciations despersonnes traitées. De plus, la réduction des montantsfinanciers disponibles au niveau international et la «pharmaceuticalisation » de la gestion du sida tendentdepuis 2010 à réduire la place accordée aux aspectssociaux de la prise en charge, focalisant l’attention surla « rétention » des patients dans les programmes detraitement. La normalisation grâce aux antirétrovirauxest devenue un argument pour attirer des financementsvers le traitement des patients du Sud en montrantl’efficacité de tels investissements ; elle répondaussi à la volonté, particulièrement ressentie au Sud,de réduire l’écart entre l’infection à VIH et d’autrespathologies létales qui n’ont pas bénéficié de« l'exceptionnalisme » du VIH au cours des vingtdernières années. Enfin, outre le fait qu’elle représenteun espoir pour des millions de personnes atteinteset un argument favorisant la mise sous traitementet l’observance, la normalisation de la vie sous ARVest présentée comme un moyen de réduire la stigmatisationdes personnes vVIH. Dans ce contexte internationalet national où la notion de normalisation grâceaux antirétroviraux est extrêmement consensuelle, lerisque est majeur de « décréter » une normalisationsans l’avoir observée, décrite, analysée, ni mêmedéfinie.Cette analyse semblait d’autant plus nécessaire quel’expérience des personnes sous traitement ARV enAfrique a jusqu’à présent fait l’objet de discours polarisés,mettant en avant tantôt les stratégies despersonnes vivant avec le VIH en tant qu’acteurssociaux individuels et collectifs insérés dans denouvelles formes de relations et d’appartenance àdes réseaux ou groupes associatifs, tantôt lescontraintes structurelles des systèmes de soins duSud et aux difficultés rencontrées par les patientspour accéder aux traitements.Le premier courant a été développé par V.K. Nguyendans ses études en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso,qui ont abordé l’expérience de la maladie à travers sadimension sociale, avant puis pendant l’arrivée desantirétroviraux. Nguyen a montré comment les associationsde personnes vivant avec le VIH diffusentune culture de la relation d’entraide influencée par lemodèle nord-américain de citoyenneté biologique,réinterprété localement. En attestent des pratiquestelles que le témoignage en public des personnesvivant avec le VIH, pratiqué exceptionnellement enAfrique par des malades avant la pandémie de VIH,mais très fréquent dans les institutions religieuses quiont des activités thérapeutiques (Nguyen 2002).L’arrivée des antirétroviraux lui a permis de décrire lasituation où, alors que l’Etat a été affaibli par les politiquesinternationales depuis les indépendances,l’accès aux traitements peut être le principal domaineoù les personnes vivant avec le VIH perçoivent etrevendiquent son intervention, comme l’ont montréles manifestations de rue et la grève de la faim despatients réclamant leurs médicaments à Abidjan audébut des années 2000 (Nguyen 2011). A ce proposNguyen a forgé le terme citoyenneté thérapeutique,qui souligne aussi le fait que les PvVIH se considèrentcomme ayant des « droits et des devoirs » enmatière de VIH, qui fondent leur relation avec l’Etat :le droit au traitement se double d’un devoir de sesoigner, de pratiquer la prévention, etc. Ces travauxmontrent que la « culture du sida » porte, en Afriquecomme ailleurs, un modèle culturel qui accorde unrôle essentiel au patient supposé devenir un acteurdu système de soin, individuellement ou collective-171

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