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Violences d'aujourd'hui, violence de toujours - Rencontres ...

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<strong>Violences</strong> d’aujourd’hui, <strong>violence</strong> <strong>de</strong> <strong>toujours</strong><br />

vengeance privée — le sang contre le sang. Je crois que cette<br />

prohibition, ou ce tabou, s’est construite peu à peu et a suivi le<br />

processus <strong>de</strong> civilisation extrêmement long qui s’est imposé dès le<br />

XVI e siècle avec l’humanisme. A la cour s’est élaboré un homme<br />

civique, un homme requis <strong>de</strong> dominer ses pulsions, d’adapter son<br />

corps aux normes contractuelles, <strong>de</strong> se distinguer par son<br />

raffinement alimentaire et hygiénique, <strong>de</strong> privatiser son intimité et<br />

valoriser son intégrité. L’individu mo<strong>de</strong>rne, dont nous avons hérité<br />

beaucoup <strong>de</strong> valeurs et une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> l’outillage culturel, a<br />

une très lour<strong>de</strong> tâche. Au même moment historique, il doit<br />

enfermer l’instant <strong>de</strong> sa défécation dans l’espace dit privé, cacher<br />

ses jeux érotiques, dont ceux <strong>de</strong> l’alcôve, et renoncer à la<br />

vengeance privée, tout en restant sociable. Je crois que ce modèle<br />

est intéressant, du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la réflexion sur le tabou jeté<br />

sur la <strong>violence</strong> corporelle, parce qu’il mène à l’intériorisation <strong>de</strong>s<br />

pulsions et à la construction <strong>de</strong> ce bien juridique qu’est l’intégrité<br />

individuelle.<br />

Ce tabou est extrêmement complexe. Il recoupe beaucoup <strong>de</strong><br />

choses, notamment un phénomène contemporain, qui est encore<br />

mal connu. Je ne veux pas revenir sur les anciennes théories sur la<br />

mort, comme celle <strong>de</strong> Philippe Ariès. Mais je crois que ce tabou<br />

recoupe, dans les sociétés très contemporaines, quelque chose qui<br />

s’est noué à la fin du XIX e siècle : partout, à cette époque, le<br />

spectacle du cadavre <strong>de</strong>vient intolérable. A Genève, à Paris, à<br />

Londres, la mort judiciaire, avec son exposition traditionnelle <strong>de</strong><br />

corps violentés, <strong>de</strong>vient un spectacle insupportable. La morgue<br />

cesse d’être un but licite <strong>de</strong> la promena<strong>de</strong> dominicale. De<br />

nombreux textes, vers 1890, le montrent fort bien. La morgue se<br />

referme sur ses spécialistes et son espace, c’est-à-dire sur les<br />

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