Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon
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Jean <strong>Lafitte</strong> 103 Écriture du gascon<br />
des débuts de la romanisation en Aquitaine, comme cela s’était aussi produit en catalan ancien (cf.<br />
Bec, 1970, p. 481), héritage en cours de recul devant la poussée du roman languedocien ? Dans son<br />
mémoire de D.E.A., Philippe Lartigue (2004) propose cette seconde interprétation, qui rejoint ma<br />
propre hypothèse sur l’antériorité du /w/ sur le /!/ entre voyelles : la présence de ces traits dans les<br />
régions les plus rurales, les moins ouvertes sur l’extérieur, et chez des locuteurs sans prestige, rend<br />
peu vraisemblable la thèse de l’innovation et encore moins de sa propagation alentour. Et comme le<br />
/w/, et plus encore que lui, -/$ ~ ø ~ œ/ a vu son aire se réduire au cours des siècles, au profit du -/o/<br />
venu de l’est.<br />
Si donc le -a est « un des traits discriminants les plus marqués pour la caractérisation des<br />
systèmes graphiques de l’occitan » (Courouau, 1999, 50), le e substitué à a pourrait bien l’être des<br />
systèmes graphiques proprement gascons, et pas seulement « béarnais ».<br />
Les grands traits de la “scripta béarnaise”… et gasconne<br />
Schématiquement, les grands traits de cette graphie “béarnaise” peuvent se présenter ainsi :<br />
La notation des voyelles et des diphtongues est à peu de choses près celle qu’ont reprise les<br />
graphies du XX e siècle qui seront présentées plus loin. Trois particularités cependant :<br />
– en position finale tonique, la voyelle est souvent doublée pour compenser la disparition<br />
d’une consonne étymologique, -n ou -r, parfois -d : aberaa {noisette}, plee {plein}, besii {voisin,<br />
membre de la communauté villageoise}, leoo {lion}…; branaa {lieu planté de bruyère}, paa {pain},<br />
senhoo {seigneur}…; cependant, non seulement la chute du -r des infinitifs ne donne pas lieu à redoublement<br />
de la voyelle (une seule occurrence, descargaa {décharger} citée p. 100), mais encore<br />
bien des amuïssements de -n, -r ou -d n’y donnent pas lieu non plus, tandis que l’on trouve, sans<br />
aucune chute de consonne finale, caar {cher}, caas {cas}, abuus {abus}, fruut {fruit}, juu {joug};<br />
– en position posttonique, le e peut aussi bien valoir [e] qu’un son atone assourdi, variable<br />
selon les lieux, [œ] ou [o] ou même [a] : pene se lit ['pene] pour le verbe “pendre” {il pend} et<br />
['penœ, 'peno ou 'pena] pour le substantif “peine”;<br />
– le o note soit /%/ ou /o/, soit ce qui est aujourd’hui devenu /u/ : asso {cela}, notari {notaire}<br />
[a'so, nu'tari]; ce n’est que tardivement qu’apparait ou pour ce qui est aujourd’hui /u/, probablement<br />
du fait du passage progressif de la valeur /o/ à la valeur /u/ : soun linatje {son lignage}, pousquan<br />
{qu’ils puissent}, soulamentz {seulement}, nou {ne… pas} dans une charte bigourdane de 1279<br />
citée par Luchaire (1879, p. 296). L’ancienneté des textes où apparaissent les ou permet d’affirmer<br />
que cela s’est fait de façon autonome, sans doute par analogie (cf. p. 151) et en parallèle avec le<br />
même phénomène apparu en oïl, sans que l’on puisse y voir un effet de la « domination française »<br />
(cf. <strong>Lafitte</strong>, 2003-3).<br />
Les consonnes ont en général la même valeur qu’en français, mais certaines, et surtout les<br />
groupes de consonnes, ont une valeur différente :<br />
– j (g devant e, i) vaut /j/ dans une grande partie du Béarn;<br />
– lh vaut /&/;<br />
– nh vaut /'/ : penhera {gage}; mais on trouve aussi gn, ou même ng, voire inh et ing avec la<br />
même valeur : gnaspa {mâcher}, ung {un}, feinh {foin}, Gascoinhe {Gascogne}, preing {gravide};<br />
– gn a donc parfois sa valeur /'/ du français actuel, mais aussi celle de /nn/ : signet {signature};<br />
comme pour ou, l’usage de gn pour /'/ est très ancien, et par exemple exclusif dans la Charte de<br />
Herrère du 21 novembre 1278 (cf. <strong>Lafitte</strong>, 2003-4, pp. 43-44);