Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon
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Jean <strong>Lafitte</strong> 169 Écriture du gascon<br />
le Couserans (ALG VI, 2170); et encore, la méconnaissance déjà évoquée de l’étendue de la<br />
prononciation en [e] des futurs et conditionnels des verbes en -ar (ALG V, 1725); méconnaissance<br />
aussi du domaine de la prononciation du -v- en [w], d’où sont oubliées la Gironde (sauf Bordeaux<br />
et l’Entre-deux-Mers) et même la Bigorre (sauf le Barège-Lavedan) de M. Birabent (ALG VI,<br />
2101).<br />
Finalement, on a le sentiment que les auteurs, pris par leur métier, ont réalisé un ouvrage<br />
nécessaire et utile, mais sans le temps ni peut-être les moyens proportionnés. En tout cas, sur la<br />
graphie, on trouve quelques innovations intéressantes, dans le sens de la cohérence du système<br />
(accentuation des 6 èmes personnes, dentale muette notée après -n, graphies soutada, títou), et<br />
d’autres contestables, inspirées semble-t-il par un esprit de système qui se préoccupe peu de la<br />
réalité de la langue; de toute façon, un certain bouillonnement intellectuel qui aurait appelé<br />
discussion dans une sorte d’académie… qui reste à créer.<br />
28 – La graphie classique du gascon d’Aran selon Joan Coromines (1990)<br />
Tandis que se préparaient, s’adoptaient, puis se mettaient en place les normes orthographiques<br />
officielles de l’aranais, le romaniste catalan de renommé internationale Joan Coromines<br />
mettait en forme ses travaux des années 20 et 30 sur ce parler. Ainsi paraissait à Barcelone, en<br />
1990, El parlar de la Vall d’Aran - Gramàtica, diccionari i estudis lexicals sobre el gascó, fort<br />
volume de près de 800 pages d’une typographie serrée. Et là, Coromines se souciait des normes<br />
officielles comme d’une guigne, écrivant l’aranais suivant une norme propre, avec des traits<br />
catalans (ny pour /'/, la canya; x pour /#/, la maixera), mais s’en éloignant nettement sur plusieurs<br />
points : lh pour /&/ et non ll, suppression du -r amuï (pastó, goardà), gascon et Arann contre gascó<br />
et Aran, /gwa/ noté goa contre gua, etc.<br />
Cela devait susciter une vive critique de la part de Xavier Lamuela, professeur à l’Université<br />
libre de Barcelone et qui avait été un membre très actif de la commission de normalisation, Joan<br />
Coromines antinormista (El País, dijous 3 de gener de 1991); en gros, malgré son savoir immense,<br />
Coromines était un spécialiste totalement étranger à ce que peut être une normalisation linguistique<br />
: « Tout laisse entendre que Joan Coromines n’a même pas accordé cinq minutes de réflexion à<br />
la planification linguistique et qu’il en ignore la notion même. » Tout est dit dans cette phrase :<br />
Lamuela et Coromines ne sont pas sur la même planète. L’un est un planificateur volontariste,<br />
l’autre un linguiste attentif à une langue vivante qu’il entend pouvoir écrire de la façon la plus<br />
fidèle possible. D’où aussi les critiques virulentes de Coromines (il n’avait pas la plume tendre)<br />
contre ce qu’il considérait comme de graves erreurs du système d’écriture occitaniste appliqué au<br />
gascon. Par exemple, dans la non-différenciation que j’ai déjà signalée entre le -n vélaire de pan<br />
(pain) et le -n dental de pan (de mur); lui, il note le second pann, selon l’étymologie pourtant si<br />
souvent invoquée par les théoriciens occitaniste (cf. ma note du mot PAA, 4 dans ma réédition du<br />
Lespy). Et de la même façon, Coromines écrit tòrr (gel), querr (gauche), etc.<br />
Ainsi, Coromines laissait, comme une sorte de testament, une mine d’informations sûres sur<br />
la langue de ce petit canton, qu’il ne sépare jamais du reste du gascon, et des pistes tout-à-fait<br />
dignes d’intérêt pour une amélioration cohérente de la graphie classique de tout le gascon.