Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon
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Jean <strong>Lafitte</strong> 147 Écriture du gascon<br />
d’écriture, ou de lecture, ou des deux :<br />
– la notation du /w/ intervocalique par -u- n’est plus que facultative, rendant difficile la<br />
lecture du -v- en [w] (cf. p. 252 et <strong>Lafitte</strong> 2003-1) : víver ou víuer, dava ou daua…<br />
– /wa/ reste noté oa (doana, boalar) sauf après g, gua (guarir), alors qu’en languedocien,<br />
Alibert ne connait que goa (goapo, cogoacha).<br />
– /we/ sera noté ue quand il vient d’un % latin, parce qu’il est prononcé [3!] écrit uè en occitan<br />
(uelh gascon, uèlh occitan); dans les autres cas, en gascon comme en occitan, qui ici ont la même<br />
prononciation, on aura oe (coeta) ou oè (doèla, patoès); mais on voit le désarroi de l’occitaniste<br />
gascon, qui ne va pas manquer des hypercorrections pour faire plus “occitan” : *patuès est des plus<br />
courants, alors que les “Occitans” l’écrivent patoès, tel André Lagarde dans le récit déjà cité p. 69,<br />
d’après Lo Gai Saber n° 463, 1996, p. 283.<br />
Par ailleurs, le statu quo sur -n laisse entier le problème de la distinction entre celui qui est<br />
amuï ou vélarisé selon les lieux (lo pan {le pain}) et celui qui est partout dental (lo pan {le pan de<br />
mur}). Il en est de même pour le -r amuï (pastor, vaquèr {berger, vacher}) que rien ne distingue de<br />
celui qui se prononce (la tor, esquèr {la tour, gauche}).<br />
Appréciation<br />
En fait, l’écriture du gascon réel dans ses variétés soulève bien des problèmes qu’Alibert<br />
n’avait même pas soupçonnés, sa connaissance du gascon étant assez lacunaire (cf. <strong>Lafitte</strong>, 2002-3,<br />
158). Cela s’explique sans doute par les conditions dans lesquelles il avait élaboré ses normes.<br />
Certes, il avait pu consulter deux bons gasconophones : par correspondance (et très probablement<br />
en français), le <strong>Béarnais</strong> Jean Bouzet (cf. p. 135), alors en poste à Paris et peut-être pas toujours<br />
bien informé des parlers gascons du nord et de l’est; et plus directement, le Commingeois Pierre<br />
Bec, étudiant de Bouzet, mais alors bien jeune pour l’influencer. Il rencontra aussi sur la fin une ou<br />
deux fois Jean Séguy, avec qui il n’était pas véritablement ami, et son texte devint définitif après<br />
qu’il l’eût soumis à ces trois personnes 25 .<br />
Mais c’était une « linguistique d’urgence » à cause de la loi Deixonne :<br />
« Résultat : la graphie du gascon a été fixée, certes, dans ses grandes lignes, mais une<br />
foule de détails reste à élucider : étymologies douteuses interdisant une fixation graphique<br />
définitive, cas des évolutions phonétiques ultra-locales, nécessité d’un tri morphologique,<br />
indispensable surtout en ce qui concerne les formes verbales etc etc. Rien de tout cela n’a<br />
jamais été discuté. (…) Tous les problèmes dont j’ai parlé se sont effectivement posés,<br />
mais à un seul, et ils n’ont reçu qu’une solution individuelle ou presque, sérieuse peut-être,<br />
mais fatalement imparfaite. » (Bec, 1952, 48).<br />
Cela explique sans doute la réponse de P. Bec lorsqu’au Colloque de Nanterre, quand je fis<br />
part de mon intention de republier ce texte devenu depuis longtemps introuvable :<br />
« Ce document, je crois qu’il faut le laisser aux archives. […] C’est un petit fascicule<br />
mal dactylographié, écrit par un Alibert qui commençait à perdre ses moyens, sur un<br />
papier de boucher…» (Guillorel et Sibille, 1993 p. 265).<br />
Mais malgré tout, ce système “classique” se répandra rapidement dans l’enseignement, dès<br />
que des <strong>Gascon</strong>s s’y seront décidés vers 1960 (cf. p. 221) : la connaissance intime de la langue de la<br />
part des pionniers, nés pour la plupart avant 1930, et même d’une bonne part de leurs élèves des<br />
milieux ruraux des années soixante, occultera ou au moins compensera les faiblesses du système.<br />
25 Témoignage du Pr. P. Bec que je remercie ici très vivement.