Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon
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Jean <strong>Lafitte</strong> 229 Écriture du gascon<br />
Or à part la filiation latine, il est bien hasardeux de penser qu’une forme ancienne — essentiellement<br />
“centrale” — est à l’origine de toutes les formes actuellement vivantes en oc. Et encore<br />
plus de croire qu’on pourra retrouver le parler vivant sous cet habit.<br />
François Fontan (1929-1979), fondateur du Parti nationaliste occitan, le contestait dès son<br />
opuscule de 1969 (réédition 2002, p. 19); la graphie d’Alibert et de l’I.E.O. était pour lui :<br />
« une graphie étymologique plus conforme au dialecte languedocien que la graphie mistralienne,<br />
mais difficile, catalanisante et inacceptable pour l’ensemble de l’Occitanie. »<br />
Mais les promoteurs de la graphie classique occitane n’en ont cure, car c’est une idéologie<br />
extra-linguistique qui les guide; c’est ainsi que pour justifier les graphies classiques du XX e s. « sor,<br />
son et só (et non sol) » avec des consonnes finales que Salette écartait (cf. p. 113), R. Lafont (1983-<br />
1, p. 381) a pu écrire :<br />
« …pour nous, — autre situation d’histoire — le béarnais, sans cesser d’être béarnais,<br />
s’inscrit idéologiquement dans l’espace occitan. Pour A. de Salette, il est territorialisé<br />
par le pouvoir navarrais. »<br />
Or sur un plan plus général, selon le constat dressé par E. Jung, une telle attitude condamnait<br />
à l’échec la Réforme linguistique occitane :<br />
« Seules ont réussi, et se sont imposées sans malaise, les réformes à objet limité, qui<br />
ne recherchaient pas de but supra-orthographique, comme l’unification d’un groupe de parlers<br />
[…] » (in Nina Catach, 1974, p. 110, cité par Nina Catach, 1978, p. 90).<br />
Le résultat : une graphie inutilement compliquée<br />
Toutes ces erreurs idéologiques aboutissent en fait à une graphie archaïsante, voire pédante,<br />
dont l’usage suppose une vaste culture linguistique bien au-dessus des moyens de la masse des locuteurs.<br />
C’est ce qu’exprime remarquablement J. Sibille (2000-1, p. 20) :<br />
« On peut dire que la graphie normalisée note ce que Pierre Bec, à la suie de Weinreich, a<br />
appelé un dia-système et que l’apprentissage de cette graphie suppose l’apprentissage de ce<br />
dia-système. »<br />
Tout un programme ! en voici une illustration concrète, avec une entrée du Dic. d’Alibert<br />
« espitlòri, m. Pilori; désordre […] Étym. inconnue, peut-être occitan. » Mistral écrit pelòri, pilòri<br />
ou pilouri tout en rappelant les formes romanes espilori, espitlori et pilloret. Selon le Dictionnaire<br />
historique d’Alain Rey (1992), le français a connu pilori (1165) et aussi pellori (1168), avec comme<br />
étymon possible pila, toutes les autres hypothèses ayant été réfutées par Wartburg. Alibert affiche<br />
ici l’attrait qu’il éprouvait pour l’inutilement savant et le compliqué qui, en l’occurrence n’est<br />
même pas catalan : en présence d’un mot d’étymon inconnu, qui d’ailleurs semble se prononcer<br />
avec -l- simple dans tous les parlers d’oc, il choisit une ancienne graphie qui suppose un étymon en<br />
“*-tulorium” qu’aucun linguiste ne semble avoir cautionné. Alors que le français, à la « graphie archaïque,<br />
forgée par des pédants » selon J. Taupiac (cf. p. 210), écrit tout simplement pilori. De<br />
même, quand l’occitan d’Alibert écrit setmana, temptar, ròtle, practica… ce qui se prononce partout<br />
[se'm[m]ano/œ, ten'ta, 'r%lle, pra'tiko/œ], le français, écrit semaine, tenter, rôle, pratique…,<br />
sans aucune consonne étymologique amuïe et inutile…<br />
Certes, L’application… de 1952 (p. 144 ci-dessus) a fait du gascon un privilégié parmi les<br />
langues d’oc, car aucune autre n’a eu droit à un semblable “document de l’I.E.O.” Mais au lieu<br />
d’essayer d’en tirer tout le profit possible pour respecter les particularités de leur langue, bien des<br />
occitanistes gascons ont sacrifié celle-ci à la lettre de formes languedociennes : pour ne pas être