Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon
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Jean <strong>Lafitte</strong> 160 Écriture du gascon<br />
De quelques orientations linguistiques à conséquences orthographiques<br />
Je parlerai néanmoins d’un choix linguistique basé sur la doctrine occitaniste qui consiste à<br />
remettre en usage les adjectifs en -ar que la langue vivante a remplacés depuis des siècles par des<br />
formes analogiques en -ari ou -ièr : militar pour militari, particular pour particulièr (Salette, 1483-<br />
1983, écrivait populari, p. 35; salutari pp. 21, 44, 279…). Je ne discuterai pas ici de cet archaïsme,<br />
ni du barbarisme qui invente un féminin en -ara à des mots que la langue ancienne a toujours traités<br />
comme épicènes, suivant en cela le latin, et à l’instar du castillan ou du catalan. Mais par contre,<br />
écrire que, dans ces adjectifs, le -r s’entend, donc militar dit [mili·tar] comme adjectif, alors qu’il<br />
est muet dans le verbe, [mili'ta], c’est non seulement créer une nouvelle difficulté de lecture, mais<br />
encore faire revivre un -[r] amuï depuis au moins six siècles (le Dénombrement de 1385 prescrit par<br />
Fébus note laa aussi bien que lar, deu Brocaa, Vielaa, Moliaa, Laugaa etc.).<br />
De même, pour les adjectifs en -e qui sont épicènes en [œ] ou [e] en Béarn comme dans plus<br />
de la moitié du territoire gascon, les auteurs se sont résignés à leur donner un féminin en -a comme<br />
« sacrifice à l’unité linguistique de la Gascogne », tout en disant qu’il se lira comme un -e, n’étant<br />
qu’une « pure convention d’écriture ». C’est donc un choix “graphique” et non “linguistique”; mais<br />
dans un monde où la langue naturelle s’entend de moins en moins, c’est une difficulté de lecture de<br />
plus (il faut se souvenir que le masculin est en -e !) qui conduira inéluctablement à un changement<br />
linguistique… C’est exactement ce qu’ont refusé avec succès les Aranais qui ne pouvaient lire [e]<br />
le a de que pòrta, las hemnas etc.<br />
Les orientations orthographiques<br />
Pour les choix orthographiques proprement dits, les auteurs se réfèrent avant tout au système<br />
défini par Alibert en 1952 (« il y a plus de trente ans »); mais curieusement, ils le légitiment<br />
d’abord par le fait qu’il a été « adopté par de nombreux félibres », autrement dit ceux du “camp<br />
d’en face”, « ainsi que par l’<strong>Institut</strong> d’Estudis Occitans (I.E.O.) »; celui-ci figure donc en second<br />
alors que c’est lui qui a invité Alibert à rédiger les normes et les a publiées comme « documents de<br />
l’I.E.O. » en 1950 et 1952. Et mis à part les abbés Saint-Bézard (1910-1983) et Grangé (1922-<br />
1989), majoraux du Félibrige, on voit mal à quels félibres gascons il peut être fait ici allusion.<br />
Étrange… cela nous rappelle ces contes pour enfants où le loup se revêt d’une peau de mouton pour<br />
mieux s’approcher du troupeau. Plus concrètement, les auteurs se réfèrent ensuite à la mise en<br />
œuvre de ces normes par R. Darrigrand en 1969.<br />
Ils s’écartent toutefois du système de l’I.E.O. de 1950-52 dans trois cas (p. 19) :<br />
« – 1 er cas, quand il s’agit d’une modification adoptée par une décision officielle de la<br />
commission linguistique de l’I.E.O. (dite Servici de linguistica aplicada);<br />
« – 2 ème cas, quand il s’agit d’une modification passée dans l’usage et admise par la très<br />
grande majorité des linguistes occitans;<br />
« – 3 ème cas, quand nous nous sommes trouvés en face d’un problème orthographique non<br />
prévu par Alibert et spécifiquement gascon ou béarnais. »<br />
Le premier cas devrait aller de soi; c’est ainsi qu’est supprimé l’h muet de vehicul > veïcul et<br />
que le -z- étymologique intervocalique passe à -s- : realizar > realisar, comme precisar dont le -s-<br />
est étymologique (décisions I.E.O. de 1975, p. 158). Mais ces décisions ne furent pas acceptées de<br />
tous, comme on le verra plus loin (p. 197).<br />
Le second cas relève du bon sens, mais crée une “autorité” de l’usage qui dévalue celle de<br />
l’I.E.O. en tant qu’organe “législatif” en la matière (voir également p. 197).