Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon

Jean Lafitte 118 Écriture du gascon
éléments glissés çà et là dans la Grammaire, au fil de la plume en quelque sorte.
J’ai cru voir l’idée maîtresse à la p. 175 : « Cessons d’appliquer, en écrivant le béarnais, les
règles faites pour l’orthographe du français. » Comment ? Lespy nous le confie dans l’Avertissement
du Dic. (p. XIII) : « pour l’écriture des mots mis en vedette, je me suis conformé aux traditions
orthographiques […] qui avaient été régularisées dans la Grammaire béarnaise ».
Pour lui, la “tradition”, c’est ce qu’on peut observer « dans les meilleurs documents du
passé » (Gr. p. 175), pratiquement « l’écriture de nos Fors et de tous les textes en vrai béarnais »
(ib., p. 14), soit en fait ceux du XIII e au XV e siècle.
Cependant, tout en recommandant le retour à ces traditions, le grand romaniste Paul Meyer
avait invité le lexicographe à « les régulariser et à leur faire subir les faibles modifications qu’exige
l’état actuel de l’idiome » (rapport sur la lettre A du Dic. en préparation; Gr. p. 442 et Dic. p. VI).
Or “régulariser”, c’est, sans autre explication, rendre homogène et cohérent, trancher entre les
variantes, les solutions disparates. Selon quels critères ? Au fil des pages, j’ai pu relever la
fréquence, l’étymologie, la prononciation actuelle, la simplicité d’écriture et de lecture, et aussi la
pratique des autres idiomes romans. Mais tout cela sans hiérarchie précise; certes, en général, la
pratique majoritaire des anciens textes est première; mais elle s’efface une fois devant l’étymologie
de quoant/quoand : sans doute faut-il y voir la fonction “idéographique” de l’orthographe rappelée
par R. Lafont (1971, 19) : en français comme dans d’autres langues romanes, la finale -t dénote
dans ces mots le quantitatif, la finale -d, le temporel. Quant à la référence à la pratique des autres
idiomes romans, elle est beaucoup moins le reflet d’un souci d’unité qu’un argument de plus en
faveur de la graphie préconisée, celle des textes béarnais anciens; on ne saurait expliquer autrement
la référence au basque, langue non romane, à l’appui du x valant /#/.
En tout cas, la pratique des autres langues romanes, voire du gascon si proche, ne saurait être
prise pour modèle s’il n’y a pas une égale pratique béarnaise.
Mais « l’état actuel de l’idiome » peut exiger d’aller plus loin. Or sur ce point, Lespy s’est
montré extrêmement réservé : « Nous avons cédé à l’usage, lorsqu’il nous a semblé que nous
pourrions dérouter de vieilles habitudes de prononciation, si nous revenions, pour certains mots, à
l’ancienne orthographe. » (Gr. p. 175). On verra bientôt qu’il s’agit surtout du digramme ou pour
/u/.
Les signes diacritiques
Là, Lespy rejette toutes les innovations; tout en citant les Psaumes de Salette près de 900 fois
dans le Dic., il ignore les choix délibérés de cet auteur en matière de graphie; en particulier, il
utilise fort peu les signes diacritiques :
– l’accent aigu et grave n’est retenu que pour le e; Lespy se prive ainsi d’un moyen facile de
noter l’accent d’intensité, ce qui rend malaisée l’accentuation correcte des mots s’achevant en -i et
-ou et des paradigmes verbaux;
– le tréma ne sert qu’à distinguer le digramme ou /u/ de la diphtongue oü /o*/; il ne peut alors
noter la diérèse d’un mot comme reunexe (Dic. Suppt); et dans payssèr, on ne sait si pay (< pani)
doit se dire en deux syllabes, ou en une comme dans paysaa;
– le ç est exclu au motif qu’il « n’était pas employé en béarnais ».