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Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon

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Jean <strong>Lafitte</strong> 50 Sociolinguistique du gascon<br />

sondés n’était posée que dans le dernier quart de ces trois questionnaires; dans les<br />

questions antérieures, la langue était nommée par l’enquêteur lui-même : occitan. Dans les<br />

Hautes-Pyrénées au contraire, “l’appellation de la langue régionale a été laissée au choix<br />

de la personne questionnée”; c’est justement dans cette enquête que le pourcentage de<br />

mentions de l’occitan est le plus faible. »<br />

B. Moreux en fait alors un commentaire où je prends l’essentiel de ce qui suit :<br />

Pour le <strong>Béarnais</strong>, nommer sa langue béarnais est une façon d’affirmer sa fierté identitaire,<br />

appuyée sur l’histoire exceptionnelle de cette petite seigneurie du domaine gascon, devenue<br />

principauté indépendante et tête du royaume de Navarre (cf. p. 37). Cette branche du gascon fut<br />

ainsi la langue d’un État et son nom de béarnais est aussi bien utilisé par des non-béarnophones du<br />

Béarn que par des habitants du reste de la Gascogne. M. Grosclaude attestait lui-même sans<br />

ambages l’appellation de « langue béarnaise » pour le gascon du Béarn (voir plus haut, p. 26). On<br />

peut en dire autant du nom d’aranais par lequel les habitants du val d’Aran désignent leur gascon<br />

(cf. p. 45).<br />

patois, en revanche, passe plutôt pour dépréciatif, et s’il a une valeur identitaire, c’est celle<br />

d’une population paysanne modeste, âgée et restée à l’écart de la modernisation. Mais depuis<br />

quelques décennies, les humiliations subies autrefois se transmutent en nostalgie, voire en motif de<br />

fierté et de revanche, de telle façon que bien des <strong>Béarnais</strong> n’hésitent pas à dire qu’ils parlent patois.<br />

J’ajouterai même deux exemples de cette valorisation récente du mot patois, comme si l’on<br />

voulait faire la nique aux doctrinaires de la langue : le premier vient du candidat UDF pour la 3 ème<br />

circonscription des Pyrénées-Atlantiques, Michel Bernos, présenté sous le titre « L’énarque qui parle<br />

patois » (L’Éclair du 16 mai 2002) et revendiquant à nouveau cette qualité dans une fiche publiée le<br />

6 juin; le second, c’est l’annonce de l’« Arrivée d’un curé béarnais » à Pontacq, précisant qu’il « a<br />

vécu sa jeunesse à Salies-de-Béarn. C’est dire s’il connait bien le patois et les gens du pays. »<br />

(L’Éclair du 16 octobre 2002).<br />

Et pour confirmer le pourcentage élevé de « patois » dans les Hautes-Pyrénées, ce témoignage<br />

du Président de l’association occitaniste Nosauts de Bigòrra (cf. p. 80), Michel Pujol (2001) :<br />

« Nous sommes près du marché [de Tarbes], comme chaque jeudi, ils sont venus<br />

vendre quelque volaille, et ils bavardent tant et plus en « patois » (c’est ainsi qu’ils disent,<br />

bien sûr ! « occitan » leur semble autre chose, si par hasard ils en ont entendu parler). »<br />

Pour le (socio)linguiste, les termes béarnais et patois se justifient donc par l’usage qu’en font<br />

les locuteurs eux-mêmes.<br />

Mais le linguiste “pur” leur préfèrera le terme gascon; construit à partir de la comparaison<br />

interne des différents parlers romans, ce concept bénéficie en effet de la caution de la communauté<br />

linguistique. Il est aussi l’objet de sentiments identitaires, mais à peu près uniquement, semble-t-il<br />

de la part de lettrés, philologues et linguistes, surtout non <strong>Béarnais</strong> (Puyau 1989, pp. 90, 102-104).<br />

Cependant, comme domaine linguistique du gascon, la Gascogne souffre de sa division en<br />

pays divers aux dimensions fluctuantes au cours des siècles, d’une absence de capitale véritable et<br />

de son partage en deux régions de la République où chaque moitié est associée à des pays nongascons.<br />

Elle est donc largement absente de la conscience collective.<br />

S’appuyant souvent sur le concept de langue gasconne, des mouvements tendent aujourd’hui<br />

à rendre la Gascogne plus populaire, lui cherchent un drapeau, en affichent les cartes, tantôt dans le<br />

cadre de l’occitanisme, tantôt en réaction contre lui. Mais cela reste surtout le fait d’intellectuels.

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