Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon

Chapitre préliminaire
La langue gasconne
La langue d’oc est-elle unique et le gascon l’un de ses dialectes ou variantes, ou faut-il dire
« les langues d’oc », groupe linguistique comprenant notamment la langue gasconne ? Pour ceux
qui tiennent à l’unité de la langue d’oc, avec derrière la tête l’idée de l’unifier pour en faire la
langue d’un pays indépendant qu’on appellerait “Occitanie”, poser une telle question relève des
disputes des gens de Byzance sur le sexe des anges au moment où les Turcs assiégeaient la ville.
Pourtant, définir une graphie pour une langue qui n’est pas unifiée implique d’en fixer les
contours, pour que cette graphie reflète le mieux possible toute la langue dans ses variétés, sans en
sacrifier aucune. Et c’est parce que l’habit graphique conçu pour l’“occitan” à partir du languedocien
du pharmacien audois Alibert s’adapte mal à « la » langue d’oc dans son ensemble, et spécialement
au gascon, qu’il m’a paru nécessaire d’éclairer d’abord la place du gascon dans cet ensemble
linguistique. Ce chapitre préliminaire a donc pour objet de rendre compte de ma recherche.
Mais d’abord, pour permettre au lecteur de situer d’emblée notre problème dans l’espace, je
dirai deux mots du domaine linguistique gascon.
Le domaine linguistique gascon (Carte en Annexe I)
Que l’on considère le gascon comme un dialecte d’une langue d’oc unique ou comme une
langue indépendante, il est une question sur laquelle tout le monde s’accorde : le domaine du
gascon coïncide sensiblement avec le triangle aquitain que César délimitait par la Garonne, l’Océan
et les Pyrénées (Guerre des Gaules, Ch. I er ). En fait, les faisceaux d’isoglosses particulièrement
serrés qui délimitent ce domaine l’étendent en outre sur la rive droite de la Garonne, avec le
Couserans au sud-est et l’Entre-deux-Mers au nord; et lui enlèvent le Pays Basque au sud-ouest, où
se parle ce que l’on pense être la continuation de l’ancienne langue des Aquitains de César.
Langue ou dialecte ? Pourquoi je me suis posé la question
Historiquement, la question de la vision des linguistes sur le gascon est la première que je me
suis posée. Mon cheminement personnel, évoqué dans le Prologue, m’a en effet très vite mis en
contact avec le mouvement occitaniste; certes, l’écoute des cassettes du manuel de M. Grosclaude
Lo gascon lèu e plan m’a vite rassuré sur la langue qu’il y proposait, même si sa graphie “occitane”
m’avait d’abord semblé bien loin de ce que j’attendais.
Mais bientôt, au sein de l’I.E.O.-Paris, j’ai été en contact avec le languedocien, “dialecte”
d’oc largement dominant dans les revues occitanistes, et là, il m’a semblé franchir une frontière.
Certes, ma connaissance progressive du gascon, celle du latin et de l’espagnol toujours vive, m’a
toujours permis d’en comprendre l’écrit ordinaire, souvent calqué sur le français dans lequel les
auteurs modernes l’avaient d’abord pensé; mais j’ai eu le sentiment que ce n’était pas “ma” langue,
malgré le discours occitaniste ordinaire. Mon malaise s’accrut encore plus quand je découvris que
le but de l’occitanisme était d’arriver à ce que la langue commune de l’“Occitanie” future soit une
sorte de languedocien revisité par des théoriciens fascinés par le XII ème siècle méridional et le
XX ème siècle catalan, l’occitan standard (cf. pp. 23 sqq.).
Ce qui me retint de partir, ce fut la découverte d’un rapport totalement oublié des occitanistes
d’aujourd’hui et néanmoins fondamental pour ce sujet, celui que le Pr. Pierre Bec avait fait approuver