Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon

Jean Lafitte 246 Écriture du gascon
remarqué l’étude que M. Grosclaude (1986-1, pp. 118-125) avait faite d’une cinquantaine de vers
de Fondeville (1633-1705). Chez un auteur qui note naturellement /u/ par ou, il avait relevé de
nombreux mots en o qui sont aujourd’hui en [u] : « com, desfortunes, comunes, provouca, devotious
etc. ». Il pouvait donc en conclure :
« Contrairement à l’opinion de certains linguistes occitans, je crois que cette évolution
s’est achevée assez tardivement, notamment en Béarn, et qu’à l’époque de Fondeville,
elle n’est pas encore parvenue à son terme. » (pp. 119-120).
Or de lire par deux fois doctou chez Fondeville m’a soudain rappelé que Palay écrivait aussi
doctou, 300 ans plus tard. J’ai donc entrepris une recherche systématique de ces [o] non toniques
dans le Palay, qui en a relevé un peu partout; non seulement vers Bayonne, mais aussi tout particulièrement
en Barège et Lavedan et en Médoc. Certes, pour ne pas allonger inutilement la liste, j’en
ai écarté en principe les mots qui, résultant d’une composition, comportent un [o] sous accent tonique
secondaire, comme abordamén, acordamén, acostamén, acotomén, amoblamén, arrollamén,
corniscrauàt, deshorohèyt, loctenén, etc. ou issu d’un a après un tel accent secondaire comme acotomén,
deshorohèyt… Mais quand la composition n’est pas évidente, j’ai préféré les garder : corsecà,
entricomalhà, pabosàc…
Finalement, ce sont près de 300 mots en [o] non tonique que j’ai pu recenser dans le Palay, la
liste complète figurant dans Ligam-DiGaM n° 23, pp. 13-14 :
• 17 mots latins ou imités du latin : debitoribus, deogratias, dominè, etc.
• 84 mots apparentés au français, généralement “savants” : absolucioû, acrobàt", aristocracie,
aristocrate, catolìc, chicorée, etc., mais aussi Occitâ, Occitanie, octòbr", ofìci, etc. Car Occitâ, Occitanie
relèvent bien de cette catégorie “savante”, donc pas du tout “populaire”, ce que Palay souligne
par « (lit.) » (= littéraire) dans le second article.
• enfin, 193 mots que l’on peut considérer comme “autochtones” : aporrochì (édition de
1932), apropì-s, arrocalégn, artorsedé, atorgà, […] doctoù, doctouràt, doctouràu, […], filosofe,
filosoufià, filosoufic, filosouficamén, filosoufie, fofone, forane, […] glorià-s, gloriéte, glorificà, glorificacioû,
glorificàyr", gloriole, glorioùs, gloriousamén, gloriousàs, […] solemnamén, solèmn",
solemnisà, solemnisacioû, solemnitàt, solìc, solìde, etc.
On pourra s’étonner de voir parmi ces derniers des mots manifestement “savants” comme
doctoù et sa famille; je doute en effet que le [o] de doc- soit dû au français car tout le reste du mot
obéit à la phonologie gasconne ordinaire; “docteur” aurait donné *doctur, et l’on ne voit pas pourquoi
le second o du mot français “doctorat” serait passé à [u] plutôt que le premier; on pourrait penser
plutôt que c’est au latin de toute l’ancienne littérature savante que l’on doit cette rémanence du
[o]; au XVII e s., Fondeville, déjà cité, écrit le plus souvent doctou, mais aussi douctou; même influence
latine probablement pour filosofe et sa famille, celle de glòri, et plus sûrement encore pour
solèmn" et sa dérivation, attestés en ancien béarnais comme en témoignent les citations du Lespy.
Et en feuilletant une partie de l’ALG III, j’ai relevé arcolân en 4 points du nord du Gers (c.
822) et la confirmation de solidë dans presque toutes les Landes et le tiers sud de la Gironde (c.
848).
Au demeurant, le polymorphisme n’est pas rare; pour ne citer que des /o/ ) /u/ non toniques
du Palay : artoursedé, barounique, bourtòlis, coulère, coupanà, fourestiè, geougràf", houlhoà,