Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon

Jean Lafitte 134 Écriture du gascon
ED BRÈS ED BRÈS
Que cànti uo choio de nousto Que cànti ùa chòia de nosta
Qui, pèd-descausso, à trabès brousto, Qui, pèd-descausa, à travès brosta,
Peds terres e peds arrabents, Peds terrès e peds arrabents,
Puro de ouelhs, sano d’aurelhos, Pura de oelhs, sana d’aurelhas,
Gaitè ras crabos e ras ouelhos, Gaitè ras crabas e ras oelhas,
Dentiò doutze ans, per touts eds bents. Dentiò dotze ans, per tots eds vents.
Que cànti uo choio tant praubo Que cànti uo chòia tant prauba
Que cado dio, at saut de r’aubo, Que cada dìa, at saut de r’auba,
Tant que mes de heret hasè, Quand mes de heret e-hazè,
Enta que-s cauhèsson à suo, Entà que-s cauhèsien à sùa,
Anabo couelhe, aro u, aro uo, Anaba coelhe, ara u, ara ùa,
Ed boues que-d aule bent trasè Eds brancs que’d aule bent trazè.
Le changement se limite au -a féminin, à o pour /u/ ou /w/, z pour s intervocalique et s pour ss
intervocalique, nh pour /'/ au lieu de gn (pas d’exemple ici) et à v ou b pour /!/ ou /b/, selon
l’étymologie — mais en renonçant ici, comme en 1913, au -u- intervocalique évoqué dans sa lettre;
au demeurant, en 1913, ouelhs, ouelhos étaient déjà écartés par les normes de l’E.G.F. de 1900-
1905. Mais les infinitifs sont notés sans -r muet (coelhe), comme selon ces mêmes normes; et sans
doute par extension, il en est de même pour tous autres -r muets, comme pour les -n : cò, breso,
maizo, eslo… Les consonnes géminées sont notées doubles, et non suivant l’étymologie : henna et
non hemna; sinne et non signe (p. 130); dinne et non digne (p. 166).
Finalement, à soixante ans passés, l’ardente poétesse voulait bien s’associer au panoccitanisme
de l’Escòla occitana, mais en sauvegardant farouchement sa langue bigourdane… loin de
l’alignement languedocien qui, un instant, avait aveuglé Palay vingt ans plus tôt. Mais de toute
façon, son exemple ne sera pas suivi, témoin historique des difficultés d’une transposition au
gascon de systèmes conçus pour l’occitan du Languedoc.
V – Camélat et les Trovadors
Anticipant un peu sur la chronologie des témoignages cités, il parait intéressant de montrer ici
quelle fut l’attitude des autres félibres gascons face au système Perbosc-Estieu. Bien sûr, Palay en
sera revenu dès 1923 semble-t-il, Bouzet qu’on verra bientôt ne sera que “moderne” dans ses
œuvres pédagogiques. Mais c’est dans la correspondance publiée du Bigourdan Michel Camélat
(1871-1962), secrétaire de l’Escole Gastou Fébus, et de son disciple Armagnacais André Pic (1910-
1958), professeur d’espagnol, que l’on trouve les marques les plus nettes de la défiance du grand
écrivain gascon devant l’entreprise de ceux qu’il désignait comme « les Trovadors ».
Lettre de Pic à Camélat du 17 juin 1932 (Pic, 1976, p. 180) :
« J’ai aussi aimé l’hommage à Perbosc; mais j’aurais aimé que vous me disiez un
mot de son orthographe. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à la vérité, le béarnais a toujours été
à part : donc sa langue n’a pas à se plier à des systèmes étrangers; son évolution est
normale. Le Béarn a été une nation, pleinement; il a un passé; les autres pays d’Oc, non. »
Lettre de Camélat à Pic du 30 novembre 1948 (Camélat, 1967, p. 71) :
« … Et Oc ? je l’ai lu comme toi, avec le regret de voir comment Ismaël [Girard] et
ses compagnons veulent (tout comme les 7 Toulousains du XIV e siècle) faire revivre une
langue morte, et qui n’a jamais existé nulle part, et l’habiller d’une graphie d’écrivassiers
antiques.
« Il me semble qu’il ne faut pas essayer de discuter avec ces jeunes gens qui sont
sûrs d’être dans le vrai. »