Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon
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Jean <strong>Lafitte</strong> 37 Sociolinguistique du gascon<br />
No m’ cararé, n’aure patientia, je ne me tairai, ne me tiendrai tranquille<br />
Deqia qe siam totz acordatz que nous ne soyons tous accordés<br />
E d’ua conspiration bandatz, et unis en une conspiration<br />
Per l’hono deu pays sostengue, pour soutenir l’honneur du pays<br />
30 E per sa dignitat mantengue : et pour maintenir sa dignité :<br />
[…] […]<br />
37 Més au loc de lansas pontxudas, Mais, au lieu de lances pointues,<br />
Armem nos de plumas agudas, armons-nous de plumes aiguës<br />
Per orná lo gascon lengatge […] pour orner le langage gascon […].<br />
Plus connu, son contemporain Michel Montaigne s’affirmait <strong>Gascon</strong> (Essais, II, ch. VIII, p.<br />
367) et écrivait sa fameuse phrase : « Il y a bien au-dessus de nous, vers les montaignes, un <strong>Gascon</strong><br />
que je treuve singulierement beau, sec, bref, signifiant […]. » (ib., III, ch. XVII, p. 622).<br />
Et en 1790, quand Pierre Bernadau, correspondant bordelais de l’abbé Grégoire, participait à<br />
l’enquête sur les « patois », il n’avait que le mot gascon pour nommer celui de Bordeaux et de sa<br />
région : « je peux, Monsieur, vous faire connaître : 1° le peu d’écrits qui nous restent en gascon de<br />
Bordeaux; 2° un dictionnaire ms. de ce dialecte […] » (Lettre du 4 septembre 1790); six jours<br />
après, il envoyait à l’abbé Les Droits de l’homme et du citoyen « Mis en patois le plus généralement<br />
approprié aux diverses nuances du gascon que l’on parle dans le district de Bordeaux… » etc. (cité<br />
d’après de Certeau, 1975, 2002, pp. 190-1).<br />
Même chose du côté d’Agen et surtout d’Auch, chez d’autres correspondants de l’abbé<br />
Grégoire : la mention fréquente qu’ils font de Dastros (ou d’Astros, cf. p. 115) est pour Ph. Gardy<br />
« bien plus qu’une référence un peu isolée : une œuvre agréable, et même une sorte de symbole de<br />
la culture et de la langue gasconnes. » (Reclams, 1-2-3/1994, p. 35).<br />
En Béarn, principauté indépendante depuis plusieurs siècles, la langue de l’administration<br />
vicomtale et des notaires est le béarnais, comme les États de Béarn le rappelèrent énergiquement au<br />
Roi et à la Reine de Navarre (requête antérieure au 24 juillet 1556, date de la décision favorable des<br />
souverains; Arch. dép. Pyr.-Atl. C 684 et 685, d’après R. Darrigrand, 1984, note 9, p. 169) :<br />
« Remonstren las gentz deux tres estatz de Bearn cum per temps immemorial lor<br />
ayen usat et acostumat haber toutes pattentes privilieges et far toutes scriptures et<br />
pleyteyatz en justicie en lo lengadge bearnes supplican tres humblement placie mandar<br />
aquero far entertenir et no expedir aucunes pattentes de provisions de tiltres appuntamentz<br />
ny autres affars de justicie confirmations de privilieges ni autrement que en ledit lengadge<br />
bearnes aixi signat De Castanher, Sindicq Bearn » 4 .<br />
Mais déjà, en 1554, nous avons vu que B. du Poey avait publié trois poésies béarnaises, et<br />
deux d’entre elles étaient présentées comme écrites « en Bernes ». En 1583, ce sera la langue<br />
d’Arnaud de Salette pour sa traduction des Psaumes, et, dans l’Advertissement placé en tête, il la<br />
nommera sans aucune hésitation « lengoa Bernesa » (Salette, 1583, 1983, p. XLI).<br />
Par la suite, une tradition ininterrompue utilisera ce nom de béarnais; en voici quelques<br />
jalons, tous les 100 ans : vers 1690, l’avocat béarnais Jean-Henri de Fondeville décrit la prédication<br />
des pasteurs protestants « En frances, en biarnes, chens nat mout de latii » (Églogues, v. 123); en<br />
1796, un autre avocat Pierre Hourcastrémé glisse neuf poésies en « béarnais » dans l’un des quatre<br />
tomes de ses mélanges Les Aventures de messire Anselme, chevalier des loix (III, pp. 35-47); en<br />
4 « Les gens des trois états de Béarn rappellent que de temps immémorial, leur us et coutume fut d’avoir toutes patentes<br />
et privilèges et de faire toutes écritures et plaidoiries en justice dans la langue béarnaise; ils les supplient donc très<br />
humblement qu’il leur plaise d’ordonner de faire maintenir cela et de ne délivrer aucune patente de concession de titres,<br />
jugement, ni autres affaires de justice, confirmations de privilèges, etc. que dans ladite langue béarnaise. Signé De<br />
Castanher, Syndic de Béarn »