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Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon

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Chapitre II<br />

La pratique de la langue par les <strong>Gascon</strong>s et <strong>Béarnais</strong><br />

I – Du Moyen âge au milieu du XX e siècle<br />

La grande poétesse bigourdane Philadelphe de Gerde porta jusqu’à la mort le deuil de la<br />

défaite de Muret, symbole de la conquête française des Terres d’oc, et l’Occitanisme a propagé le<br />

thème de l’effacement de la « langue d’oc » à cause de cette conquête. Alibert en a une idée plus<br />

réaliste quand il note qu’« il fallut la Croisade (albigeoise) pour empêcher la constitution d’un État<br />

occitan ébauché parallèlement à Barcelone et à Toulouse » (1966, XII), idée reprise par Patrick<br />

Sauzet au Cercle de minuit, France 2, nuit du 3 au 4 avril 1996 : « La Croisade a ruiné ce qui avait<br />

des chances d’être un état à peu près au centre du domaine occitan. […] L’occitan a été écrasé par<br />

la construction d’une autre langue; le français s’est construit d’abord comme symbole du pouvoir<br />

royal, puis comme instrument de ce pouvoir, avant d’être d’une pratique générale. ». Mais rien ne<br />

dit que l’État “occitan” avorté n’aurait pas été d’abord catalan… et catalanophone, puis du fait des<br />

vicissitudes de l’histoire, finalement espagnol et castillanophone; on ne refait pas l’Histoire !<br />

Quoi qu’il en soit, en Gascogne, si « le Roi, notre seigneur » était à Londres jusqu’en 1453…<br />

et parlait français, il administrait cette terre en latin et en gascon, au point qu’il est vraisemblable<br />

que le mot anglais judge ainsi orthographié (contre village pris au français) est le mot gascon<br />

emprunté à Bordeaux…<br />

En Béarn, petit état dont le vicomte souverain était devenu roi de Navarre, le béarnais était<br />

langue d’état, comme on l’a vu p. 37, et la décision des souverains en date du 24 juillet 1556 fut<br />

reprise dans le Stil de la justicy deu Païs de Bearn publié en 1564; la Rubrique XXVII Judges,<br />

Advocats, Notaris précise en effet, à l’art. IV : « Et feran losdits Advocats lors requisitions & pleiteyats<br />

en lengadge vulgar & dèu present Païs, tant de palaure que per escriut, saub en las allegations<br />

& rasons de drect, sus losquoaux pleyteyats sera bailhat aussi per lo Judge l’appuntement<br />

requis tant en l’Audience que fore dequere en lo medixs lengadge. » 8 . Le français ne fut substitué<br />

au béarnais que par l’Édit d’annexion de Louis XIII, signé à Fontainebleau en octobre 1620 :<br />

« Voulons, en outre et ordonnons que les Ordonnances, Arrêts et Procédures de notre dite Cour de<br />

Parlement soient faits et expédiés en langage François. » Cependant, le Roi maintenait les « Fors,<br />

Franchises, Libertés, Privilèges et Droits appartenant à nos Sujets dudit Royaume et Pays de Béarn,<br />

que Nous voulons leur être inviolablement gardés et entretenus. » Ainsi s’expliquent plusieurs<br />

réimpressions avec « privilegi deu Rey, Senhor souviran » de Los Fors et Costumas de Bearn écrits<br />

en béarnais et leur maintien en vigueur jusqu’à la fameuse nuit du 4 aout 1789.<br />

Quant au peuple, il parlait gascon (ou béarnais) dans la vie de tous les jours, quand les techniques<br />

de production ne changeaient guère, l’enseignement était peu répandu et les déplacements<br />

rares, en dehors des exils souvent définitifs de ceux qui allaient chercher fortune ailleurs.<br />

Cependant, les élites se mirent aussi au français, tout en conservant l’usage du gascon avec<br />

leurs voisins et domestiques, voire pour taquiner la Muse. Ainsi, on a vu p. 37 que l’avocat Pierre<br />

Hourcastrémé avait introduit neuf poésies béarnaises dans ses mélanges philosophiques publiés en<br />

1792 et réédités en 1794-96.<br />

8 « Et lesdits Avocats feront leurs requêtes et plaidoiries en langage vulgaire et du présent Pays, tant en paroles que par<br />

écrit, sauf dans les allégations et raisons de droit, sur lesquelles plaidoiries sera donné aussi par le Juge le jugement<br />

requis tant en l’Audience qu’en dehors d’elle, dans le même langage. » L’exception stipulée signifie vraisemblablement<br />

qu’on admettait l’énoncé en latin des axiomes juridiques du droit romain.

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