Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon
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Jean <strong>Lafitte</strong> 273 Écriture du gascon<br />
Le devenir du -n dit “instable” ou “caduc” et sa notation<br />
Il s’agit de « l’ancien -n- intervocalique latin, devenu final par chute de la voyelle finale atone<br />
[…]. C’est l’n que les troubadours et scribes notaient ou ne notaient pas dans l’ancienne langue et<br />
que l’on désigne souvent pour cela du nom de n instable ou caduc. […] désignation assez peu<br />
scientifique mais commode. » J’ai emprunté ces lignes à P. Bec (1968, p. 49) car elles présentent<br />
très clairement le phénomène phonétique auquel il consacre un chapitre, en rappelant les nombreuses<br />
études qui lui ont été consacrées; mais ici, notre problème est de déterminer comment noter au<br />
mieux les prononciations qui en découlent sur l’ensemble du domaine.<br />
On a un aperçu de ces prononciations en finale tonique dans la carte 2170 de l’ALG VI publié<br />
en 1973, donc après la thèse de P. Bec; à chaque point est indiqué le nombre de réalisations<br />
constatées dans 10 autres cartes, selon la variété de ces réalisations : amuïssement complet, avec ou<br />
sans nasalisation de la voyelle précédente, ou prononciation vélaire du -n c’est-à-dire sensiblement<br />
comme le -ng de “dancing”. J’avoue avoir renoncé à utiliser cette carte pour “faire ma religion” sur<br />
le sujet. J’ai donc repris les dix cartes en question, auxquelles j’en ai ajouté vingt autres, dont deux<br />
dédoublées pour l’analyse des formes : 5 en -an, 6 en -en, 6 en -in, 10 en -on, 5 en -un. En mettant à<br />
part l’indéfini un, son composé degun et trois autres mots grammaticaux primitivement en -en (arren,<br />
quauquarren et taben) qui ont leurs isoglosses propres, cela permet de déterminer six zones à<br />
peu près homogènes (carte p. 325) :<br />
1 – la Gironde, moins les environs de Bazas et une étroite bande au sud d’Arcachon : dans la<br />
plupart des mots concernés la voyelle précédant le -n est nasalisée et le -n s’est amuï;<br />
2 – la Lomagne, jusqu’aux abords de Toulouse; la voyelle est nasalisée, le -n est dental; sauf<br />
pour can {chien}, où il est palatalisé en certains endroits [ka'];<br />
3 – la moitié nord-ouest du Béarn : la voyelle est nasalisée, le -n est muet;<br />
4 – la moitié sud-est du Béarn, la presque totalité des Hautes-Pyrénées et le Couserans : la<br />
voyelle a perdu toute nasalisation et le -n est muet;<br />
5 – le reste : sud de la Gironde, Landes, Lot-et-Garonne gascon, Gers sans la Lomagne, sud<br />
gascon de la Haute-Garonne (Comminges) et Val d’Aran : la voyelle est nasalisée, le -n est vélaire;<br />
6 – au sein de la zone qui précède, et empiétant sur le nord-ouest du Béarn, une zone ouest où<br />
-en a abouti à [e'] et même [e"] (ALG VI, 2128).<br />
Pour ce qui est de la graphie, nous pouvons écarter d’emblée les zones 3 à 5 qui sont sans<br />
problème : on peut noter -n et fixer pour chaque zone une règle de lecture valable pour tous les<br />
mots, selon ce qui est dit ci-dessus; il y a bien quelques exceptions, comme [jam'b,] {jambon} à<br />
Hagetmau qui prononce tout le reste en -["], mais on peut les négliger.<br />
En zones 2 et 6, pas de problème non plus pour noter la finale palatalisée ou yodisée, par -nh<br />
ou -i selon les règles générales : le can ou le canh; en zone 2, selon les lieux; plenh ou plei, tabenh<br />
ou tabei en zone 6; aucun intégriste de la normalisation occitane ne s’en est alarmé.<br />
Pour la zone girondine, la difficulté vient de réalisations disparates en un même lieu. Ainsi :<br />
– à St-Vivien, à la pointe du Médoc, et à Saucats, à 20 km au sud de Bordeaux, le -n est muet<br />
dans can {chien}, pan {pain}, porin {poulain}, lapin, mais vélaire dans hen {foin}, plen {plein},<br />
parren {parrain (gallicisme très répandu)}, jambon, poison {poison};<br />
– à Pujols-sur-Ciron, à 8 km à l’ouest de Langon, le -n est muet dans pan, plen, lapin, hiçon<br />
{dard (de guêpe) et poson, mais vélaire dans can, hen, parren, porin;