Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon

Jean Lafitte 254 Écriture du gascon
-v- ne peut être une graphie englobante.
De fait, on a cherché d’autres solutions, comme d’opposer v valant [w] ou [.] selon les lieux à
b valant [.] partout; c’est ce qu’on trouve dans Atau que’s ditz (cf. p. 175) : brabe, cabala, cabal(i)èr,
cabalet etc. Mais il aurait aussi fallu noter par b de nombreux autres mots qu’on prononce
aussi partout par [.] : bravar, cavalièr, pròva, espròva, aprovar, esprovar, et a fortiori, devarar,
davarar, devarada, devinar, devinalha, endevieta, endeviar, divés, nòvi, noviau…; sans doute n’estce
pas envisageable.
Alors, puisque L’Application… a ouvert la voie par le biais d’une « tolérance », il faut consacrer
l’opposition u = [w] / v ou b = [.], donc valider -u- au même niveau que -v-, tout comme le -s-
de véser {voir} est aussi légitime que le -d- de véder, et même le f de filh {fils} dans le Couserans
l’est autant que le h majoritaire de hilh.
Tout au plus puis-je proposer une rédaction qui part de la prononciation, selon le principe B,
sans se soucier de l’origine de ce son. Et en évitant les mots « Dans les parlers où…» qui laissent
entendre qu’il s’agirait d’une prononciation « minorisée », cela valorise une prononciation spécifique
du gascon et son graphème :
« Le son [w] entre voyelles est noté u : auegèr, auegiu, auei (= a + oei), auelhar, mauestruc;
auer, deuer, leuar, víuer, que daua, qu’auèua, iuèrn, actiua. »
Je conclus ce paragraphe avec A. Viaut (1987, p. 116) :
« cette question dépasse, toutes proportions gardées, le strict cadre orthographique
pour devenir sociolinguistique à sa manière. La notation […] isolera sur ce détail
toutefois, l’Aran, de la pratique courante gasconne, à moins que l’idée ne fasse école. À
ce jour, au moins l’association “Montanha vieua”, de Bagnères de Luchon, utilise les règles
orthographiques normalisées de l’aranais …».
Le devenir du yod roman
Le phonème /j/ se rencontre en gascon à l’initiale, entre voyelle et après consonne (ou diphtongue
au), avec cette particularité que dans de vastes zones du domaine, il fait place à /2/. Palay,
qui note les deux réalisations par j, décrit fort bien le phénomène dans le préambule de la lettre J :
« J; consonne. — Se prononce de deux manières : comme le j français et comme i
(ou y), suivant les lieux. Ces deux façons de prononcer, très irrégulièrement réparties sur le
territoire, sont usitées l’une à côté de l’autre dans tout le Bassin de l’Adour; on dit jou à
Lescar et you à Pau et leurs territoires sont limitrophes; you à Tarbes et jou à Vic-Bigorre,
etc.; dans le Gers, le son du j français est le seul connu, à de rares exceptions près; dans les
Landes les deux prononciations voisinent également. En Méd., cette lettre équivaut au
français j, ou dz, ou tz, ou à dy, comme dans adieu. »
Mais son ami Camélat allait manifester ses réserves dès la parution du tome I er du Dic. de Palay
en 1932, en écrivant au jeune André Pic :
« À mon avis (et il n’y a eu rien à faire !), il s’est trompé sur la graphie de j pour y
(souvent) […] » (Lettre du 3 janvier 1933, Camélat, 1967, p. 10).
En effet, les enquêtes de l’ALG devaient bientôt montrer la complexité du phénomène, car en
bien des lieux, ce passage de [j] à [2] ne joue pas pour toutes les positions du phonème, ni même
pour tous les mots. On peut en avoir un aperçu avec les cartes de synthèse 2117 et 2118 du volume
VI (1973) pour le Yod roman à l’initiale et entre voyelles. Pour m’en assurer davantage, j’ai consulté
le maximum de cartes de détail que j’ai pu trouver sur ces deux positions (19 pour l’initiale,