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Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon

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Jean <strong>Lafitte</strong> 85 Sociolinguistique du gascon<br />

Certes, ils tempèrent cette constatation en signalant le succès des « nombreux groupes de<br />

musique traditionnelle » et aussi d’« un théâtre en langue béarnaise ». On peut aussi mentionner le<br />

Carnaval béarnais qui occupe une place importante dans la presse locale de la mi-janvier jusqu’à<br />

Pâques, car il n’a plus rien à voir avec l’entrée en Carême ! Mais pour ce qui est des chanteurs, une<br />

militante les qualifiait de « Biarnés d’empoun » {<strong>Béarnais</strong> d’estrade, de scène} pour bien signifier<br />

que sitôt descendus de l’empoun, ils ne parlent plus que français; a fortiori l’assistance… Et de<br />

même pour le Carnaval, néo-folklore un peu soixante-huitard devenu le “fond de commerce”<br />

d’occitanistes, très critiques par ailleurs à l’égard du folklore à l’ancienne des Félibres; ce ne sont<br />

pas quelques banderoles humoristico-revendicatives écrites en graphie classique et des discours<br />

convenus sur les méfaits de Carnaval, que l’on brulera bientôt, qui font vivre la langue chez un<br />

public jeune qui ne la comprend pas dans sa grande majorité.<br />

Et pour ce qui est des quelques activités publiques félibréennes, elles ne sont sans doute pas<br />

plus efficaces pour la valorisation de la langue auprès du grand public.<br />

Une erreur “stratégique” : l’élitisme bourgeois du Félibrige<br />

Alors, on en vient à se demander si tout le mouvement en faveur des langues d’oc, depuis le<br />

XIX e siècle, et spécialement depuis Mistral, n’a pas complètement manqué son but par une erreur<br />

stratégique de ceux qui l’ont mené.<br />

Quand Mistral lança le Félibrige, c’était une réaction de jeunes bourgeois d’esprit romantique<br />

qui généralement ne travaillaient pas de leurs mains. Ils chantèrent la noblesse du travail des<br />

paysans qui leur permettait de vivre de leurs rentes et se convainquirent qu’ils parlaient la langue de<br />

ces paysans et des ouvriers à qui ils rendaient une dignité perdue. Mais ils demeurèrent loin du<br />

peuple, jugé trop inculte, comme le souligne Pierre Pasquini pour la Provence (1983) et surtout<br />

dans sa thèse Le pays des parlers perdus, Montpellier, 1994. Ils firent de l’oc une langue de<br />

culture, faite des mots d’un dictionnaire de référence, le Tresòr dóu Felibrige, avec ses<br />

grammairiens et ses académies, dispensatrices de prix aux « bons élèves » de la classe. Tout ce<br />

qu’il fallait pour décourager ceux qui n’avaient que de mauvais souvenirs de l’école et de la<br />

grammaire. Forçant sans doute le trait, Pasquini (1983, p. 12) conclut : « Les félibres sont, par leurs<br />

œuvres, les artisans de la renaissance littéraire, mais sont aussi, par leur action, les fossoyeurs de la<br />

langue. »<br />

Qui étaient-ils en effet, ces félibres ? En général, de petits bourgeois lettrés, passés par le<br />

lycée et souvent par l’université, médecins, pharmaciens, avocats ou notaires; des prêtres aussi,<br />

souvent d’origine rurale et modeste, mais formés au latin, et enfin des instituteurs, aux études plus<br />

courtes.<br />

Pratiquant tous le français dans l’exercice de leur métier — sauf sans doute les prêtres des<br />

campagnes qui devaient encore prêcher en « patois » pour être compris de tous — et ignorants tout<br />

ce que la linguistique moderne a révélé sur la sociologie des langues ainsi que sur leur évolution<br />

fonctionnelle, ils ont rêvé d’une langue d’oc littéraire et policée pour revues et discours de fin de<br />

banquet, mais sans lien avec la vie ordinaire de ceux qui la pratiquaient quotidiennement. Il suffit<br />

de parcourir les publications du Félibrige pour voir combien étaient rares les signatures des gens<br />

ordinaires, au demeurant peu rompus au maniement de la plume.

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