Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon
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Jean <strong>Lafitte</strong> 337<br />
Écriture du gascon<br />
Mais il faut aussi prendre en compte le point de vue de bien des locuteurs qui connaissent<br />
surtout leur parler local et sont peu disposés à l’effort d’apprentissage d’une graphie englobante<br />
valable pour un ensemble gascon qu’ils appréhendent mal. Dans la mesure où leurs besoins de<br />
communication ne dépassent pas les limites de leur parler propre, on ne voit pas au nom de quel<br />
principe supérieur on pourrait leur reprocher de préférer une graphie de proximité, débarrassée des<br />
contraintes posées par les graphies englobantes.<br />
Certes, on pourra déplorer l’« esprit de clocher » si facilement dénoncé par les promoteurs de<br />
la graphie classique « normalisée » qui permet une lecture à travers tout l’espace d’oc. Mais il ne<br />
faut pas se voiler la face : si la lecture d’un texte en graphie classique est facile dans ces conditions,<br />
elle ne permet jamais au lecteur de Nice de savoir comment parle celui qui a écrit à Limoges, et<br />
même lu à la mode de Nice, le texte comportera sans doute bien des mots ou formes que le Niçois<br />
ne comprendra pas sans recourir à un dictionnaire. C’est pourquoi, par exemple, l’hebdomadaire<br />
occitaniste La Setmana est écrit presque en totalité en languedocien utilisé comme koinè, mais de<br />
fait réservé à un lectorat militant, tandis que le mensuel Plumalhon que le même éditeur destine aux<br />
enfants parait en trois versions, gasconne, languedocienne et provençale, parce que l’unité graphique<br />
ne suffit pas pour une communication « panoccitane ».<br />
Pour revenir à notre problème gascon, il doit être clairement affirmé que l’usage d’une<br />
graphie unitaire n’est en rien une obligation qu’une autorité quelconque imposerait aux scripteurs,<br />
mais un moyen proposé aux écrivains qui souhaitent étendre leur lectorat à l’ensemble gascon. En<br />
revanche, dans l’état actuel de la langue gasconne et béarnaise, celui qui écrit pour ses amis, lettres<br />
personnelles — acte militant, rompant avec le “tout français” de l’écrit — ou billets dans la presse<br />
locale, doit se sentir libre de le faire selon ce qui lui parait le plus opportun.<br />
C’est pour l’aider dans ses choix que le système que je propose s’assortit de tolérances, selon<br />
les parlers gascons. Et de même que tout parler a droit à l’écriture, tout scripteur a droit au choix de<br />
sa graphie. Ce n’est que d’une telle liberté que pourront se dégager les solutions les plus communément<br />
acceptées, susceptibles d’être consacrées comme normes d’une langue retrouvée; de<br />
même que les choix morphologiques et lexicaux ne pourront se faire que sur la base d’une connaissance<br />
très large des pratiques réelles, librement et authentiquement exprimées.<br />
Les variantes irréductibles<br />
Il s’agit donc de graphies différentes des mêmes mots, chacune correspondant à une prononciation<br />
locale, parce qu’il est impossible de donner en chaque lieu une règle qui permettrait d’y lire<br />
convenablement une graphie unique : quand à Tarbes on écrit par un même v les mots qu’avèvi,<br />
avança, devèrzë, travèrse prononcés [w] et avengude, avoucat, cavale, chivau prononcés [!], on<br />
imagine l’effort de mémorisation que l’on impose à celui qui apprend la langue; c’est peut-être pire<br />
encore à Bazas, selon Dulau (1994), si l’on écrit par un même j (ou g devant e et i) les mots avantadjë,<br />
avantadjous, viadja, didjaus, angë, arrenja, minja, counjèyt, granje, monjë, iranje, goujat<br />
prononcés [j] et coungela, coungestioûn, counjuga, enjure, enjustë, escounjura, venja, ajaca, bajard,<br />
cuje, dejà, edzigi, bouja, gouje prononcés [2].<br />
La lettre v sera donc le graphème d’un /!/ issu d’un b ou d’un v intervocaliques latins, et u<br />
sera le graphème du /w/ qui lui correspond pour certains mots dans la vaste zone qui réalise ce /w/<br />
intervocalique; ces mots en u sont les variantes irréductibles de ceux en v (cf. p. 252 à 254 et 318) :<br />
haue ou have {fève}.