13.07.2013 Views

Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon

Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon

Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Jean <strong>Lafitte</strong> 57 Sociolinguistique du gascon<br />

« Entre deux personnes, on parle toujours dans la langue la plus connue, et quand le<br />

pli est pris, c’est quasiment impossible de changer. Maintenant que les occitanophones<br />

sont devenus rares, le français est “naturellement” l’idiome commun. […]<br />

« En plus de cela, il y a des langues qu’on peut se permettre de dire à voix haute dans<br />

un lieu public comme l’anglais, et il faut un drôle de courage pour parler en oc. Je parle<br />

anglais avec ma femme dans le Leclerc d’Avignon, et il m’est difficile de parler français<br />

dans un “Target” de Minneapolis… »<br />

Guiu Garnier – Bilingüisme… (1996, p. 4) :<br />

[Pour la génération du grand-père puis de la mère de l’auteur, « la langue d’oc était<br />

leur langue maternelle, naturelle, aussi comme on dit. C’était leur langue de tous les jours,<br />

celle de la famille, du travail, de la boutique […] » Mais déjà, pour celle de sa mère « en<br />

dehors de la maison, on la parlait surtout entre adultes. De plus en plus, les petits entre eux,<br />

avec l’aide de l’école, employaient le français. L’école fonctionnait depuis une vingtaine<br />

d’années, le français était bien maitrisé à l’oral comme à l’écrit. Mais aussi la langue d’oc<br />

restait une langue vivante, d’un usage actif. En ce temps-là, ni la langue d’oc, ni le français<br />

n’étaient des langues passives. Il me semble que c’est le moment, entre les deux guerres,<br />

où le bilinguisme fut le plus équilibré. Il faut dire cependant que c’est à ce moment que la<br />

langue d’oc, qui était “sociale”, comme disent les linguistes, devint “individuelle”. C’est le<br />

temps aussi où, pour des causes qu’il faudrait analyser, la seule explication par l’école<br />

n’est pas suffisante, que les gens attrapèrent la honte de leur langue. C’est ainsi que les<br />

gens de cette génération n’ont pas parlé leur langue maternelle à leurs enfants, cela aurait<br />

compromis leur avenir ! C’est ainsi que ma mère, tout en croyant bien faire, ne m’a pas<br />

parlé notre langue… »<br />

J’ai pu constater moi-même le fait suivant : le 15 mars 1997, je participais à Orthez au<br />

Colloque organisé en l’honneur de Roger Lapassade (cf. p. 44). Des jeunes filles accueillaient les<br />

participants; pensant bien faire, je leur parlai en béarnais : aucune de celles à qui j’eus affaire ne sut<br />

me répondre, elles ignoraient toutes la langue de Lapassade… En revanche, le 12 octobre 2003, à la<br />

fête du maïs de Laas, à 15 km d’Orthez, je me suis adressé directement en béarnais à un paysan<br />

d’une cinquantaine d’années qui était là, avec une paire de vaches sous le joug, tirant un bros {char<br />

à deux roues} en démonstration; il m’a répondu tout de go, sans s’étonner de mon vêtement de<br />

“monsieur de la ville en promenade aux champs” :<br />

« — E y a encoère moundë qui sabën yugnë ? {Il y a encore des gens qui savent<br />

mettre le joug ?}<br />

« — O, coum vedét; e las yulhes que soun naves… » {Oui, comme vous le voyez; et<br />

les courroies du joug sont neuves.}<br />

Je mentionne plus loin, p. 208, une publicité du Leclerc d’Orthez de décembre 1990, où<br />

s’affichaient les noms béarnais d’articles de charcuterie en graphie classique, tout en observant que<br />

l’expérience ne me semblait pas s’être renouvelée. Il est certain en tout cas que j’ai cherché en vain<br />

la moindre trace de gascon dans le flot des publicités pour Noël 2003; ou plus exactement, je n’ai<br />

trouvé que deux mots, magret et pacherenc, mais ils étaient utilisés comme mots français. Ce qui<br />

nous rappelle au passage qu’une langue s’exporte avec les innovations enviables de ses locuteurs…<br />

Les enquêtes linguistiques d’avant 1999<br />

Mais ce ne sont là que des touches impressionnistes sur l’état de la langue. Peut-on aller plus<br />

loin avec des enquêtes scientifiques ? À la vérité, on a eu surtout pendant très longtemps des<br />

évaluations d’un grand optimisme émanant des milieux militants (cf. p. 51), évaluations dont J.-P.<br />

Chambon (2003, pp. 10-11) a fait judicieusement la critique. Et A. Kristol et J. Wüest supposaient<br />

que « Si les recherches empiriques restent rares, c’est peut-être parce que “la crainte de voir révéler<br />

une faiblesse de l’usage de l’occitan” est toujours vivace. » Les enquêtes régionales de 1991, 1997

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!