Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon
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Jean <strong>Lafitte</strong> 70 Sociolinguistique du gascon<br />
« — A plenas pajas, traduit M. Laplume.<br />
« — Je ne vous avais pas compris… Nous autres, ici, nous parlons patois, pas<br />
occitan… !<br />
« — Vous avez vu ? me fait M. Laplume une fois revenus dans la voiture. Madame<br />
Cabirol n’y est pas allée par quatre chemins pour vous faire comprendre qu’elle n’aime pas<br />
l’artificiel. C’est pour cela que moi, pour le lait, la volaille ou les œufs, je me sers chez elle<br />
en toute confiance […] »<br />
Et de reconnaitre : pagina « est une forme que pour mon compte je n’ai jamais bien encaissée<br />
[…] Je pense qu’il faudrait dire et écrire paja, même si c’est peut-être un emprunt au français. ». Or<br />
son dictionnaire traduit “fou” par fòl, mais aussi par baug, “page” par pagina seul, “âge” par edat et<br />
atge, “carte” (de géographie) par mapa, mots qui sont pour M. Laplume des « archaïsmes ou des<br />
catalanismes »; il s’en excuse :<br />
« — Il faut bien accepter par discipline les décisions des linguistes qui fixent la<br />
norme.<br />
« — À condition qu’ils ne nous coupent pas de la langue vivante. »<br />
… répond M. Laplume, qui se garderait bien de demander à la dame « Quina edat {âge} an<br />
vòstres enfants », mais plutôt « Quin atge… », pour conclure dans le sens de la pensée profonde de<br />
l’auteur : « Pour fuir cette artificialité, il serait bon que les spécialises de la langue aillent consulter,<br />
comme disait l’autre, les crocheteurs du Port au foin… » [en français dans le texte].<br />
Même distance entre langue vivante et langue enseignée dans les Fiches de grammaire<br />
d’occitan gascon normé. Il s’agit de fiches pédagogiques dont un « Volume 1 » 14 , signé par André<br />
Bianchi et Alain Viaut, a paru en 1995 avec le sous-titre « Prononciation et graphie -<br />
Conjugaisons ».<br />
Ces fiches ont été conçues par un groupe de professeurs comprenant Mme Nathalie<br />
Ganuchaud, MM. Éric Astié, André Bianchi, Guy Latry, Maurice Romieu, Jean Salles-Loustau,<br />
Pascal Sarpoulet et Alain Viaut, bien connus comme enseignants d’« occitan » en Gascogne (un<br />
seul n’enseigne pas en université), mais les trois-quarts girondins, alors que c’est en Gironde que la<br />
langue est probablement la moins parlée, un seul <strong>Béarnais</strong>, M. Salles-Loustau, et un Rouergat<br />
installé en Béarn dont il a fort bien appris la langue, M. Romieu. Mais personne des Hautes-<br />
Pyrénées ou des Landes, où l’on a vu que la langue est encore vivante chez nombre de locuteurs.<br />
Ont cependant apporté des renseignements et conseils les Pr. Jacques Allières, Philippe Gardy,<br />
Xavier Ravier et Patrick Sauzet. Au demeurant, s’agissant de fiches pédagogiques destinées « à<br />
deux des universités du domaine gascon » (Préface), donc Pau et Bordeaux, mais pas Toulouse, il<br />
était normal qu’elles vinssent du haut de la hiérarchie. En revanche, il semble qu’elles n’aient été<br />
que peu diffusées en dehors de l’enseignement supérieur.<br />
Pour limitée qu’elle soit dans son objet et son domaine d’action, c’est donc là une entreprise<br />
de normalisation de la langue gasconne ; mais celle-ci est conçue exclusivement comme matière<br />
scolaire, totalement en marge de ce qui reste de langue vivante dans la société gasconne.<br />
On ne peut en faire grief à ces professeurs, soucieux de s’acquitter au mieux de leur mission<br />
d’enseignement d’une langue que ses locuteurs ont rénoncé à transmettre à leurs enfants. Mais une<br />
langue vivante n’est pas une matière inerte comme l’objet de la physique ou de la chimie, ou même<br />
une langue morte. Et quand on la traite comme une langue morte, entièrement entre les mains des<br />
14 Je n’ai pas eu connaissance de la parution d’une suite.