Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon

Jean Lafitte 195 Écriture du gascon
– enfin, dire que la graphie classique a été « adoptée dans l’Enseignement public » ou même
qu’elle est « celle […] qui permet de passer examens et diplômes » (p. 17), c’est participer à une
confusion supplémentaire, qui s’apparente à de la désinformation pure et simple, comme nous le
verrons à la page suivante.
Quant à faire passer pour “moderne” la graphie “classique”…
Mais la confusion va encore plus loin quand on appelle “moderne” la graphie “classique” !
Je citerai d’abord M. Grosclaude qui était professeur de philosophie — donc de logique — et
que ses travaux linguistiques sur le gascon ont à juste titre fait considérer comme un expert en la
matière. Or dans son Dictionnaire toponymique de 1991, p. 30, il écrit :
« Ce que nous appelons “orthographe béarnaise correcte”, c’est ce que certains ont
appelé “orthographe classique”, d’autres “orthographe normalisée”, d’autres encore “orthographe
de l’Institut Etudes Occitanes” [sic], d’autres enfin “orthographe alibertienne”
du nom du grammairien qui en fut le principal initiateur. »
Jusque là, rien à dire, sauf à constater la pléthore de désignations de la graphie de l’I.E.O.
Mais trois pages plus loin, le même auteur annonce qu’il proposera pour le nom de chaque commune
« dans la rubrique “orthographe restituée”, […] deux orthographes possibles : une orthographe
traditionnelle et une orthographe moderne »; la rubrique contenant en principe l’« orthographe
béarnaise correcte » s’appellera donc d’un autre nom, « orthographe restituée », et de fait, la “graphie
classique occitane” préférée de l’auteur y sera proposée comme « orthographe moderne », par
opposition à la véritable “graphie classique béarnaise”, qualifiée de « traditionnelle ».
Et malheureusement, M. Grosclaude n’est pas le seul à entretenir la confusion entre classique
et moderne. Ainsi, entre autres, R. Darrigrand (p. 157 ci-dessus); ou E. Chaplain (1997) présentant
sa réédition du Dictionnaire du patois de La Teste de Pierre Moureau noté en graphie classique :
« L’orthographe retenue […] est […] la graphie occitane moderne »; ou encore Atau que’s ditz
(1998, p. 14); et « graphie occitane moderne » cumule deux erreurs, puisqu’il s’agit d’une « graphie
classique » et spécialement prévue pour le gascon, je viens de le rappeler à la page précédente.
Ainsi, à la confusion sur le nom de la langue gasconne que nous avons pu constater en Première
partie s’ajoute celle sur le nom de ses graphies ! Et ce n’est pas fini, car la même confusion
règne sur le pouvoir normatif en cette matière.
II – Du pouvoir normatif en matière de graphie
Il y a vraiment de quoi s’émerveiller de l’ardeur déployée par tant de défenseurs de nos langues
d’oc pour en règlementer la graphie. Chez des gens qui, notamment depuis mai 1968,
s’insurgent volontiers contre la centralisation jacobine et l’excès de législation qui rogne les libertés,
on ne cesse de formuler des règles auxquelles on entend soumettre les autres, et l’on n’hésite
pas à demander à l’État jacobin de se faire le bras séculier d’une moderne Inquisition.
Or il faut commencer par voir ce qui en est du français lui-même : l’Académie française n’a
juridiquement aucun pouvoir pour imposer une orthographe quelconque; elle choisit et publie, mais
on la suit ou non, aucune loi n’y oblige (cf. Catach, 1988, p. 50 en note). Il en est ainsi par exemple
pour sa recommandation de 1990 tendant à supprimer à peu près tous les accents circonflexes sur u
et i : buche comme ruche, maitre, il parait, etc.