Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon
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Jean <strong>Lafitte</strong> 94 Sociolinguistique du gascon<br />
la terre, où ils perpétuaient la langue des ancêtres, évitant « les villes d’humeur changeante, où plus<br />
que jamais l’attrait de la nouveauté mène et corrompt le peuple. » (Discours du 31 mars 1875 aux<br />
Jeux floraux de Montpellier, Discours, 1941, p. 38). Onze ans plus tard, il constatait avec regret que<br />
« la jeunsesse descend vers la pourriture des villes » (Discours du 23 mai 1886 à la Ste-Estelle de<br />
Gap, ib. p. 160). Et jamais il ne semble s’être soucié d’économie ni d’industrie.<br />
L’occitanisme n’est pas en reste; qu’il suffise de lire R. Lapassade, ou même G. Narioo<br />
racontant dans País gascons ses souvenirs d’enfant de Balensun dans les années 30 et 40 (Per estar<br />
protestants); c’est sympathique et rappelle leur jeunesse aux lecteurs âgés qui ont le béarnais pour<br />
langue maternelle; mais on tourne le dos à la vie qui avance. À cet égard, la couverture du n° 171<br />
de Païs gascons (Nov.-Dec. 1995), était exemplaire : ironisant sur les “autoroutes de l’information”<br />
(internet), le dessin leur préférait les petits chemins de campagne, balisés par les titres des gentilles<br />
publications occitanistes. Et ne parlons pas de l’image de la grande ville enfumée et bruyante dans<br />
les dialogues de Lo gascon lèu e plan de M. Grosclaude. On en est toujours à Mistral écrivant pour<br />
les pastres et les gens des mas, pour ne pas dire à Virgile, O fortunatos nimium agricolas…<br />
Même la télévision en oc est elle-même essentiellement rurale : étudiant les programmes de<br />
Viure al país sur FR 3 Toulouse de 1989 à 1994, Ph. Gardy (1996) constatait que la ville en était la<br />
grande absente, et que les zones le plus représentées étaient celles où la population était la moins<br />
dense.<br />
L’intuition féminine ?<br />
Tout cela, il semble bien que les femmes ont été les premières à le sentir. Pierre Bourdieu<br />
(1982, pp. 34-35) l’explique par leur condition sociale :<br />
« comme les sociolinguistes l’ont souvent observé, les femmes [sont] plus promptes<br />
à adopter la langue légitime (ou la prononciation légitime) : du fait qu’elles sont vouées à<br />
la docilité à l’égard des usages dominants et par la division du travail entre les sexes, qui<br />
les spécialise dans le domaine de la consommation, et par la logique du mariage, qui est<br />
pour elles la voie principale, sinon exclusive, de l’ascension sociale, et où elles circulent de<br />
bas en haut, elles sont prédisposées à accepter, et d’abord à l’École, les nouvelles<br />
exigences du marché des biens symboliques. »<br />
Cela, pour leur usage personnel; avec sans doute pour conséquence, comme l’observe<br />
Bernard Moreux, que les mères ont été les premières à abandonner la transmission de la langue qui<br />
fut “maternelle”, « les mères, actives d’ailleurs à tous les niveaux de la modernisation en opposition<br />
souvent au conservatisme paternel » (cf. p. 59).<br />
Or j’ai moi-même constaté que les femmes et spécialement les mères de famille sont<br />
particulièrement rares dans les mouvements de défense de nos langues; machisme des militants ?<br />
affaire de recherche de pouvoir propre aux hommes ? Je penserais plutôt que leur rôle de mères<br />
soucieuses de l’avenir de leur progéniture les rend très méfiantes à l’égard de ces langues du passé.<br />
Aujourd’hui, on ne travaille guère plus en famille, à la ferme ou à l’atelier, mais en entreprise, avec<br />
des gens et notamment des ingénieurs et cadres venus d’ailleurs, pour des clients de partout, et la<br />
langue qui permet de gagner son pain ne peut être que le français, quand ce n’est pas l’anglais.<br />
Pourquoi donc alourdir encore l’emploi du temps des élèves par l’apprentissage des “patois” ?<br />
Les perspectives qui nous restent<br />
Quand une langue n’est plus apprise au berceau et ne sert plus à gagner la vie, dire les