Thèse J. Lafitte - Tome I - Institut Béarnais Gascon
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Jean <strong>Lafitte</strong> 228 Écriture du gascon<br />
du Béarn au XVI e s. alors qu’elle est aujourd’hui en /o/ (p. 110).<br />
Quant à la graphie, nous avons vu p. 99 qu’il n’y avait jamais eu de “graphie des Troubadours”,<br />
ce qu’affirme aussi avec force J.-P. Chambon (2003, p. 3) :<br />
« Très rapidement dit : l’occitan est aujourd’hui et a toujours été à toutes les étapes<br />
de son histoire une langue dialectale, non standardisée, sans système graphique unifié,<br />
[…]. »<br />
Dès lors, la remise en usage de la graphie médiévale par les occitanistes de Toulouse était une<br />
chimère, selon le jugement sévère d’Albert Dauzat (1955, p. 337) :<br />
« Toulouse pouvait refaire l’œuvre d’Avignon [imposer sa langue littéraire au Midi,<br />
comme le toscan de Dante à l’Italie, ce qu’Avignon de Mistral n’avait pas réussi] et opposer,<br />
comme dans la Grèce antique, dialecte à dialecte; son école a préféré poursuivre la<br />
chimère d’une unité irréalisable en masquant le morcellement dialectal sous une orthographe<br />
médiévale. Par là, on éloignait le peuple de la littérature félibréenne en la rendant difficile<br />
à lire. On l’a éloignée encore davantage en s’écartant de la langue vivante : plus les<br />
parlers ruraux s’altèrent et s’imprègnent de français, plus les poètes occitan, par réaction,<br />
remontent aux sources historiques de la langue et donnent dans l’archaïsme. »<br />
Linguiste occitaniste lucide, Roger Teulat (2001-1, p. 6) en convient :<br />
la graphie classique est fondée « sur les cogitations de quelques érudits d’avant 1950, un<br />
temps où l’on s’attachait davantage à l’éminence du latin qu’au fonctionnement synchronique<br />
de la langue. »<br />
« Le tort qu’a eu Alibert est de ne pas avoir étudié davantage la langue ancienne et sa<br />
transformation progressive dans la langue d’aujourd’hui : là est la véritable référence pour<br />
la graphie et pour la langue. » (2001-2, p. 189).<br />
Moins avisé, ou plus idéologue, M. Grosclaude (1993, p. 788) arrête le temps au XVI e s. et<br />
écrit « que la bonne graphie béarnaise est […] maison, et que, tout au contraire, meyzou est une graphie<br />
francisée »; or aucune règle de lecture classique ne permet de lire [e"] sous la graphie ai, et ce<br />
qui était noté -on ou -oo au Moyen âge se prononçait encore [(] à la fin du XVI e s. (cf. p. 112), de<br />
telle sorte que le passage ultérieur à [u] appelait naturellement une autre graphie sans qu’elle fût<br />
pour autant « succursaliste du français » (ib. p. 787). Or le même auteur critique justement cette façon<br />
d’arrêter le temps dans les textes juridiques et administratifs béarnais du XVIII e s. : « refus<br />
d’accepter l’évolution de la langue parlée […] les juristes et notables [étant] convaincus que<br />
c’étaient eux qui écrivaient la véritable langue » (ib. p. 788).<br />
C’est donc sur la base d’une vision scientifiquement erronée de l’ancienne langue que s’est<br />
fondée la graphie classique, imposant à l’écrit d’oc des contraintes inacceptables en pratique et qui<br />
réservent cet écrit à une poignée de professeurs. Mais à cela, il n’y a pas de remède, car renoncer à<br />
cette erreur et tenir compte de l’évolution réelle de la langue et de celle de la graphie qui a suivi,<br />
c’est adopter une graphie moderne, donc passer tout de suite au chapitre IV!<br />
L’erreur de linguistique diatopique<br />
Mais en restant dans le système classique, force est de constater qu’il est aussi établi sur l’idée<br />
que l’on peut habiller toutes les variétés d’oc avec le vêtement taillé pour le languedocien<br />
qu’Alibert appelait « central », celui de sa petite région de l’Aude (1935, 1976, p. XX); avec aussi<br />
l’idée qu’en adoptant une forme archaïque supposée mère des formes actuelles différentes, elle<br />
conviendra pour représenter toutes ces formes dans un écrit unifié (principe D. de La Réforme… de<br />
1950 que nous étudierons bientôt, p. 236).