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LA PÉNÉTRATION DU SPINOZISME 95<br />
Bibliothèque du Roi (1). Pendant quinze ans (2), soutenu par<br />
la faveur du roi et de Colbert, Huygens jouira en France d'une<br />
audience étendue et d'un prestige scientifique incontesté.<br />
Or, le savant hollandais, devenu en 1666 un des premiers per<br />
sonnages de Paris, connaît fort bien Spinoza qui résidait, durant<br />
les années 1664 et 1665, à Voorburg, dans la banlieue de La<br />
Haye. C est a Voorburg même que son père Constantin avait fait<br />
bâtir en 1639 la maison de campagne de Hofwyck (3), aujour<br />
d'hui restaurée et dont un dessin de Christian Huygens lui-même<br />
nous restitue le charme campagnard un peu lourd. Ce ne sont<br />
pas les méditations philosophiques qui ont rapproché les deux<br />
hommes, malgré leur commun maître Descartes, mais bien les<br />
fameux « verres de lunettes » que Spinoza polissait et que l'as<br />
tronome appréciait. Ils ont un ami et correspondant commun,<br />
Henri Oldenburg, secrétaire de la Société royale de Londres.<br />
Échanges de livres, conversations scientifiques semblent avoir<br />
lié Spinoza (4)<br />
au savant patricien et durant ces deux années<br />
le philosophe a dû fréquenter assez assidûment le Hofwyck.<br />
N'allons pas croire cependant à une intimité. Rapidement<br />
Huygens s'apercevra que Spinoza, malgré son humilité de ma<br />
nières, n'a de l'homme de sciences, de l'expérimentateur, ni la<br />
patience ni la modestie intellectuelle (5). Il ne verra bientôt en<br />
lui qu'un amateur dangereux, un de ces dogmatiques qu'il<br />
craint tant. Et qui sait si quelque obscure rivalité artisanale<br />
ne les a pas opposés (6)? C'est ce que semblent confirmer de<br />
nombreuses lettres adressées de Paris en 1667 et 1668 à son<br />
frère Constantin, où, tout en se tenant au courant des menues<br />
(1) Correspondance de Huygens (La Haye, Nijhoff, 1895, t.JVI, lettre 1522).<br />
(2) Huygens quittera la France en septembre 1681.<br />
(3) Cf. Brugmans, op. cit., p. 11 (le dessin est reproduit en hors-texte,<br />
p. 96-97).<br />
(4) Cf. Appuhn, t. III, p. 227. Lettre 26 à Oldenburg, probablement de<br />
mai 1665 : « Je n'ai jamais manqué de m'informer auprès de... Christian<br />
Huygens qui m'avait dit vous connaître aussi. » « Huygens me l'aurait donné<br />
à lire si je savais l'anglais », dit-il à propos de l'ouvrage de Boyle sur les<br />
couleurs. « Huygens ma raconté des choses étonnantes sur ces microscopes<br />
et aussi sur des télescopes de fabrication italienne, »<br />
(5) Cf. P.-L. Couchoud, op. cit. (p. 80-85). L'examen du traité de Boyle<br />
Sur le nitre, par Spinoza, est caractéristique : l'expérimentation n'est pas<br />
pour lui le chemin d'une vérité, mais la preuve d'une vérité saisie a priori<br />
(ci. lettre à Oldenburg, Appuhn, t. III, p. 121).<br />
(6) Appuhn, t. III, p. . 241, lettre 32 du 20 novembre 1665 : Ce même<br />
Huygens a été tout occupé, il l'est encore, du polissage des lunettes; à cet<br />
effet, il a construit une machine assez jolie à l'aide de laquelle il peut fabri<br />
quer des lentilles au tour. Je ne sais cependant quels résultats il a obtenus<br />
et à dire la vérité, je ne suis pas très désireux de le savoir. L'expérience m'a<br />
montré en effet qu'on peut à la main mieux qu'avec aucune machine polir<br />
des lentilles sphériques. »